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Un Etranger d'Ici II - De l'autre côté Nº2 2002
Un étranger d’ici II par Eyal Sivan

De l'autre Côté 2007

 
Au moment où je relis ces notes avant de les envoyer à l’imprimerie, le cessez le feu entre en vigueur entre Israël et le Hezbollah en application de la résolution 1701 du Conseil de Sécurité des Nations Unies.
Ces notes ont été écrites, il y a longtemps déjà, pas tant en termes de temps objectif, car il s’agit de notes prises entre janvier et juin 2006. Pourtant, au vu du présent, ces notes appartiennent déjà à l’histoire.
La société israélienne vient de subir un des plus grands chocs de son histoire. La dernière source de sécurité, l’armée israélienne – qu’on appelle aussi par son petit nom : "tsahal"[1] – ne répond plus à son mythe d’invincibilité.
 
La Fondation pour l’Art Contemporain à Barcelone (CCCBC) accueille le colloque international intitulé Archipels d’exception, pour dresser une cartographie mondiale des situations ou des lieux d’exception. Plusieurs universitaires y participent, parmi lesquels Giorgio Agamben, Zigmund Bauman et Tarik Ali.
Brigadier général de réserve, Shimon Nave dirige le département de Théorie militaire de l’Académie de Sécurité Nationale israélienne. Il anime un groupe de jeunes officiers qui étudient la philosophie et la critique post-coloniale, Foucault, Deleuze, Judith Butler, Edward Saïd, Homi Bahaba,…
Shimon Nave, dont la carte de visite s’orne des sigles du ying et du yang autant que de l’emblême de l’armée israélienne, présente un diaporama illustrant les nouvelles théories militaires sur la guerre urbaine, élaborées après étude des cas de la bataille de Jenine et de la casbah de Naplouse. La méthode s’appelle “infestation” et, nous précise-t-il, il s’agit d’une inversion des rôles : s’appuyant sur des théories deleuziennes, l’armée infeste les ruelles en appliquant le méthode de moving through walls, c'est-à-dire qu’ils vont d’une maison à une autre en traversant les murs, “infestant” ainsi les habitations et poussant les combattants vers les ruelles. Il conclut en déclarant “C’est une inversion des rôles : c’est nous les rats et c’est eux qui doivent fuir dans les rues.” Heureusement que la philosophie sert à quelque chose…
 
Dans l’avion qui me ramène d’Espagne vers Israël, je lis Yedioth Aronoth, un journal centre-droit, qui est aussi le quotidien le plus lu du pays. Yedioth publie les résultats d’une grande enquête réalisée par l’armée à propos des dysfonctionnements sexuels des militaires israéliens. Les données sont accablantes : 25% des militaires de carrière souffrent de divers dysfonctionnements sexuels graves ; 50% des 5.800 soldats interrogés souffrent de problèmes d’érection ; 15% d’éjaculation précoce et 10% éprouvent manque d’envie ou ignorance sexuelle.
Suite à ces résultats, l’armée a décidé d’élargir son étude aux militaires de carrière de sexe féminin.
 
En Israël, on a de plus en plus de chance de tomber sur un chauffeur de taxi émigré des républiques de l’ex Union Soviétique. Le mien, qui habite à Ramlé, petite banlieue à 20 minutes de Tel-Aviv, n’est pas content. Certes la ville est calme et il n’y a pas de problèmes particuliers. Mais ce n’est pas un lieu pour y élever des enfants, dit-il, il y a trop d’Arabes et trop d’Ethiopiens.
Au moins, lui, il n’est pas antisémite.
 
Ruthie, rédactrice en chef de la revue Fenêtres (Halonot), revue arabe-hébreu destinée aux enfants, est arrêtée par les Services Secrets pour un interrogatoire. Son travail représenterait un risque pour la sécurité de l’Etat.
Quoi de plus dangereux, en effet, que l’égalité entre des enfants arabes et juifs ?
 
Suite à une grave hémorragie cérébrale, Ariel Sharon, le petit père du peuple israélien, est désormais hors d’état de nuire. De plus en plus de voix considèrent que la prestigieuse équipe médicale du célèbre hôpital Hadassah a enchaîné les erreurs. Je me souviens encore de l’époque où on vantait les vertus et les exploits du système médical israélien, souvent sous forme de reproche  “Plutôt que de toujours parler de ce qui va mal en Israël, vous devriez parler de choses positives : la médecine israélienne, par exemple.” Pour cette fois-ci, c’est raté.
 
La campagne électorale se met en place. Après le “plan de séparation” (Rabin et Barak), le “plan de débranchement” de Sharon (appelé ici, en France, “le désengagement”), Holmert lance le “plan de rassemblement”, un euphémisme supplémentaire pour ne pas dire “continuité territoriale et majorité démographique”, un objectif fondamental de la méthode traditionnelle de colonisation sioniste.
 
A l’entrée de Tel-Aviv, au milieu d’un bric à brac d’architecture moderne et post-moderne, se dresse la nouvelle tour d’appartements de standing dessinée par Philippe Stark. Bien en évidence, on a affiché sur un gigantesque panneau publicitaire le portrait imposant de Yossi Beilin, l’élégant chef du parti de la gauche sioniste Meretz. Un slogan progressiste est imprimé sur des affiches de trois mètres sur cinq : “Ma mère n’est pas arabe”.
 
Futur favori au poste de Premier Ministre, Holmert réalise un spot électoral grandeur nature. Il ordonne l’évacuation de quelques maisons de la colonie Amona. Cette décision est destinée à la fois aux électeurs de la gauche sioniste et laïque (qui jubilent en voyant les images de la violence policière contre les colons) et à la communauté internationale, pour montrer combien il est difficile et compliqué d’évacuer ne serait-ce que huit maisons.
L’intérêt, c’est aussi de faire implicitement une distinction entre les colonies légales et les colonies illégales.
Je constate, à la lecture de la presse française, que la manœuvre d’Holmert est une réussite totale. La notion "colonie illégale" est désormais acquise.
 
Après de longues hésitations, j’accepte l’invitation à parler devant 240 officiers hauts-gradés de l’armée israélienne dans le cadre d’un séminaire qui les prépare à leur voyage à Auschwitz. Ils participent à l’ambitieux projet intitulé “Témoins en uniforme”. Je dois leur parler du procès d’Eichmann, de la désobéissance et du concept de la banalité du mal selon Hannah Arendt. Même si nos échanges sont houleux, ils sont plutôt contents de ma prestation. Beaucoup d’entre eux s’intéressent à l’histoire.
Ma présentation terminée, le commandant de l’école des officiers s’approche de moi “Nous ne sommes d’accord sur rien, mais c’était très intéressant” me dit-il, concluant sa déclaration d’un salut militaire. Je n’en demandais pas tant.
Un officier “conseiller juridique auprès de l’état-major israélien chargé de vérifier la compatibilité des actions militaires avec le droit international” me dit avoir été abasourdi : “Ce que vous racontez sur la langue codée utilisée par les nazis me rappelle la façon de communiquer dans notre état-major.” Heureusement pour lui qu’il ne s’exprime pas publiquement. On pourrait l’accuser de faire des comparaisons, des amalgames, de nazification, voire même de l’antisémitisme.
 
L’Académie universitaire Sapir à Sderot dans le Negev, présente à la Cinémathèque de Tel-Aviv trois projets de films de ses étudiants. L’objectif est de leur trouver des moyens pour financer leurs projets cinématographiques.
Dans l’extrait que nous montre Galit, on voit une adolescente en train de prendre sa douche. Elle se lave les cheveux. On devine ensuite qu’elle savonne sa poitrine. Elle se rince, tend un bras hors du cadre et attrape une serviette avec laquelle elle se sèche. Elle essuie ses cheveux, puis son visage et sort de la douche enroulée dans la serviette de bain. Elle tend la main vers un porte-serviette et y attrape un fusil d’assaut M16 dont elle fait passer la bandoulière sur ses épaules. Dans la scène d’après, on la reconnaît parmi un groupe de jeunes filles militaires, qui rampent sur le sol dans la poussière, portant chacune  un fusil mitrailleur à bout de bras, leurs visages maquillés en camouflage, imitant le bruit des balles qui sifflent, alors qu’une officier marche à leurs côtés en leur hurlant des ordres.
Galit, qui a fait son service militaire dans une unité combattante de filles, insiste sur le fait qu’elle ne veut faire ni un film politique, ni une dénonciation de l’armée, mais qu’elle veut tout simplement raconter les relations lesbiennes dans les rangs de l’armée israélienne.
 
Les chaînes de télévision ont commencé à diffuser les spots pour la campagne électorale des élections législatives. Sur un peu plus de vingt partis politiques à se présenter, trois appellent à l’expulsion des Arabes citoyens d’Israël. Deux d’entre eux sont des intégristes anti-religieux.
Dans le spot de Shinuï, parti ultra-laïque ashkénaze, on voit un jeune homme qui marche dans les rues. Il semble avoir du mal à avancer, quelque chose est accroché à ses pieds. Dans le plan qui suit, plus large, on découvre qu’un Juif orthodoxe est accroché à ses jambes et essaie de l’empêcher d’avancer. Un second religieux s’agrippe à ses pieds. Puis un troisième, qui apparaît de derrière un buisson. Et ainsi de suite. Il a de plus en plus de difficultés à marcher, mais parvient tant bien que mal jusqu’à l’urne. Quand il choisit le bulletin de Shinuï et, qu’il le glisse dans l’urne, les sept orthodoxes allongés sur le sol et accrochés à ses pieds explosent et disparaissent en fumée.
Au lendemain de la première diffusion de ce spot, le journal Aharetz parle d’un spot publicitaire digne de Der Streimer[2].
 
Suite à un appel déposé à la Cour suprême israélienne, les organisations de droits de l’homme Betselem et Hamoked sont traitées par la représentante du procureur de l’Etat comme des organisations hostiles à l’Etat d’Israël, financées par des groupes hostiles et servant les intérêts des ennemis d’Israël.
Le lendemain, le procureur général de l’Etat met un bémol aux déclarations de sa représentante: “Les organisations de droits de l’homme”, dit-il, “sont importantes pour l’image d’Israël à l’étranger. Elles ne sont pas hostiles.”
Un porte-parole militaire ajoute, sur le même sujet, que “même si les organisations de droits de l’homme sont parfois agaçantes, elles représentent un rouage fondamental du système de maintien de l’ordre dans les territoires”.
 
Le parti d’extrême droite Herut diffuse des spots publicitaires et affiche sa proposition de pinuï pitsuï, qui signifie “évacuation et compensation”. Il propose même d’appliquer aux habitants arabes d’Israël la loi qui avait été votée pour l’évacuation et la compensation des colons juifs de Gaza.
Herut a même la solution financière : c’est nos amis américains qui paieront.
 
Des tanks et des batteries d’obus sont postés à un kilomètre de la faculté de cinéma. Ils bombardent quotidiennement Gaza. Officiellement, il s’agit de ripostes aux tirs de fusées artisanales Kassam vers Sderot. Personne ne se soucie des dégâts causés par ces bombardements massifs et réguliers, ni même de leur coût. C’est un secret de Polichinelle que l’armée utilise des obus périmés ou proches de leur date de péremption, se débarrassant ainsi de ses munitions bientôt obsolètes.
Une obscénité en cache une autre. Un étudiant qui vient de terminer son service militaire dans les blindés m’explique simplement qu’avant ils faisaient leurs exercices dans le désert du Negev, mais que, maintenant, ils peuvent s’entraîner en tirant sur Gaza,.
 
Houloud Badawi, animatrice de la Coalition des Femmes pour la Paix, fête son anniversaire sur une terrasse dans le village de Ein Karem, au sud-ouest de Jérusalem. Ein Karem fait partie de ces très rares villages palestiniens qui n’ont pas été détruits pendant la Nakba de 1948. Les maisons palestiniennes sont maintenant occupées par des juifs orientaux religieux, des artistes, des yuppies et des babas de tous genres.
De nombreux invités à la fête d’anniversaire sont des Arabes palestiniens venus exprès des territoires. Sami, le DJ, enchaîne les morceaux de musique arabe à plein volume et jusque très tard dans la nuit. Les voisins portent plainte. Et la police intervient pour mettre fin à la soirée.
Le lendemain, l’amie de Houloud qui avait prêté sa maison pour la soirée, publie un article intitulé “Le droit au retour à travers l’oreille”. Elle considère cette fête comme une étape vers le droit au retour des Palestiniens.
Décidément, dans des situations extrêmes, même quatre heures de musique peuvent être chargées de dimension politique.
 
Alors que l’Institut Israélien de Démocratie révèle, dans son rapport annuel, que 62% des citoyens juifs d’Israël seraient favorables à l’émigration des Arabes du pays ; Yona Yahav, le maire de la ville de Haïfa, déclare à un quotidien arabe : “Sur le principe, je ne suis pas contre le fait qu’une partie des habitants palestiniens reviennent à Haïfa dans le cadre d’un accord signé par le gouvernement israélien et qui mettra fin au conflit avec le peuple palestinien. (…) Je vous assure, en toute sincérité, que je compatis avec la douleur des réfugiés et que leur problème sera résolu. Je ressens d’autant plus leur douleur que mon père a goûté au goût amer de la perte et de l’errance, après qu’il ait dû fuir l’Allemagne.”
 
Aussi loin que je me souvienne, les termes "paix" et "sécurité" ont toujours fait partie des slogans électoraux des partis sionistes Un ou deux, voire les deux termes à la fois. C’est aujourd’hui la première fois que le mot "paix" n’apparaît nulle part. Le terme qui accompagne "sécurité", c’est "démographie".
La paix ne fait plus recette.
 
Le milieu féministe radical et post-moderne est en effervescence à l’occasion de la visite de l’écrivain Julia Kristeva en Israël. Elle donnera deux conférences sur l’amour à l’Université de Tel-Aviv et à l’Institut Van Leer de Jérusalem. Le public venu écouter la conférencière française est tellement nombreux qu’il faut, les deux fois, organiser une retransmission vidéo en direct dans les salles voisines.
Comme ça arrive de plus en plus souvent, le vent sionisme militant souffle en provenance de l’Europe. Lors de sa conférence de presse, Julia Kristeva déclare aux journalistes israéliens : “En tant que citoyenne européenne, d’origine bulgare, ayant les nationalités française et américaine, je garde en tête ma position privilégiée pour pouvoir exprimer jusqu’à quel point l’existence et la sécurité d’Israël sont nécessaires pour la vie de l’esprit. Car Israël, avec son identité particulière, pays du peuple élu, est pour moi l’émissaire de l’humanisme qui sait lier la soif de singularité et de sécurité avec l’aspiration à une existence hors du commun, une recherche éternelle et une insatisfaction créative. Au-delà des textes bibliques, l’existence même de l’Etat d’Israël est une facette impressionnante de l’expérience de tomber amoureux, une facette qui n’a pas encore fini d’illuminer l’histoire humaine.”
… un peu comme dans les années 50, les intellectuels occidentaux aimaient aller à Berlin-Est, à Moscou ou à Pékin, pour y tenir le même genre de discours.
 
La fuite des dirigeants historiques du parti travailliste vers le nouveau parti de centre-droit Kadima s’accélère de jour en jour. Les traditionnels électeurs ashkénazes, notamment les habitants des kibboutz, ont du mal à accepter un Juif marocain à la tête du parti travailliste.
Autour des tables lustrées des cafés tendance du quartier de la Colonie Allemande, à Jérusalem, on déplore qu’ “ils” nous aient tout pris, même le parti travailliste.
 
Les nouveaux arrivés dans la politique israélienne - tels que Avi Dichter, de Kadima ou Ami Ayalon, des Travaillistes (tous deux anciens chefs du Shinbeth), ou encore Rafi Eythan, du parti des retraités, ou Dany Yatom, du Likoud (tous les deux anciens du Mossad) - révèlent qu’il n’est plus nécessaire de faire semblant de ne pas voir l’omniprésence des services secrets israéliens dans la vie publique du pays. Avançant à visages découverts, les anciens des services secrets remplacent petit à petit les anciens militaires à la tête du pays.
 
Mes compatriotes n’ont plus confiance en l’avenir. Certains diraient qu’ils ont peur. Le vote massif pour le parti des retraités, c'est-à-dire pour ceux qui ont connu 1948, révèle que nous ne sommes pas prêts à interroger la génération de 1948, mais qu’on préfère lui demander de maintenir le pays dans son aveuglement historique.
 
Peres déclare qu’il serait prêt à siéger au même gouvernement que le parti “Israël, notre maison”, d’Avigdor Liebermann, qui appelle à un échange de populations entre Arabes d’Israël et Juifs des territoires. L’ancien ministre de la défense israélien, Benyamin Ben Elieser du parti travailliste, ancien du parti de Peres, déclare “Comment Peres, un prix Nobel de la paix, pourrait siéger avec des adeptes du transfert ?”
Finalement - bien sûr - Peres siégera à Ben Elieser dans le même gouvernement.
 
Comme chaque année, le 6 juin, une manifestation se tient sur l’esplanade du musée de Tel-Aviv pour y rappeler l’occupation israélienne des territoires palestiniens lors de la guerre de 1967. Cette année, c’est le 39ème anniversaire. Le nombre de participants ne varie pas sensiblement d’une année sur l’autre. Quelques dizaines, selon la police. Quelques centaines, selon les organisateurs. J’ai remarqué que les organisateurs ne comptent que les nouvelles têtes. On les remarque facilement, elles ne sont pas nombreuses. Peu d’Israéliens se déplacent à une manif qui appelle aux négociations avec le Hamas. Je me fais la remarque que ce ne sont pas des manifestants, mais les témoins d’une situation dont la majorité de la population ignore ou nie l’existence.
 
Une exposition de photos prises sur les différents barrages militaires en Cisjordanie doit s’ouvrir dans une salle municipale de la ville de Bersheva, à l’initiative de l’organisation de femmes Check-point Watch qui observe, modère, documente et témoigne de la réalité des check-points dans les territoires occupés.
Mais, la veille de l’ouverture, la mairie de Bersheva demande le décrochage de l’exposition, sous l’argument qu’elle risquerait de heurter la sensibilité du public. C’est vrai que nous, Israéliens, sommes très sensibles. Je ne peux pas m’empêcher de me rappeler la phrase de Golda Meier “On ne leur pardonnera jamais de nous avoir obligés à leur tirer dessus.”
 
Une navette de taxi collectif privé fait la route Jérusalem-Netivot. Netivot est une ville du Negev qui est un bastion du Shas, une ville orientale et religieuse. Ces trois dernières années, Netivot a accueilli de nombreux immigrés français venus de la banlieue parisienne. Je prends souvent cette navette et j’y croise de jeunes Français. C’est dans cette navette que je croise un matin trois jeunes hommes français religieux d’extrême-droite qui me racontent qu’ils vivent dans un village collectif orthodoxe et qu’ils vont passer cette année leur bac de français dans une école talmudique. Quand je leur demande "Et ensuite ?”, ils me répondent qu’ils iront à l’armée pour tuer des Arabes et coucher avec des Israéliennes. Leur séjour, certainement d’une grande portée pédagogique, est financé par le gouvernement français et l’Alliance juive.
 
Le Festival de Film Sud se déroule alors que la résistance palestinienne tire des roquettes en direction du Negev et que l’armée israélienne pilonne la bande de Gaza. L’ouverture du festival est une occasion pour les hommes politiques israéliens de faire acte de solidarité avec la ville de Sderot et avec l’armée. Le cinéaste et militant Jad Neeman qui présente en avant-première un nouveau film après 17 ans de silence cinématographique, monte sur scène pour y faire le discours d’ouverture. Ancien médecin militaire, héros décoré de la Guerre de 67 et premier cinéaste israélien à avoir interrogé publiquement la virilité et le militarisme israélien s’adresse aux hommes politiques, aux invités et aux habitants de la ville de Sderot. “Je ne parlerai pas de cinéma, dit-il, je me réfèrerai à un juif sage qui a décrit l’ange de l’histoire comme l’ange qui regarde en avant, avec derrière lui les charniers et les ruines de la guerre. Pour ne pas laisser derrière nous des charniers et des ruines, et puisque nous sommes les plus forts, nous devons arrêter la machine de guerre israélienne. Ceux qui sont au-delà de la barrière, à quelques kilomètres d’ici, ne sont pas nos ennemis. Ce sont nos voisins, nos amis, nos frères.” Peu de gens ont osé huer Jad Neeman. En tous cas, beaucoup moins qu’à la fin du discours du nouveau ministre de la culture qui a promis, à cette ville rongée par le chômage, la misère et les manœuvres militaires, 150.000 euros pour la construction d’un théâtre flambant neuf.
 
Je rentre en France après avoir passé une semaine en compagnie de ma sœur qui cherche à acheter un appartement à Tel-Aviv. Ces trois dernières années, les prix de l’immobilier ont quadruplé, nous précisent les agents immobiliers que l’on rencontre. Ce sont les Français qui achètent Tel-Aviv. La flambée des prix de l’immobilier à Tel-Aviv, Netanya, Ashdod ou Ashkelon est une conséquence collatérale de l’antisémitisme dont on nous dit qu’il galope toujours en France.
 
Par l’intermédiaire de son porte-parole, l’armée annonce avoir tiré, dans une seule journée, plus de 600 obus sur Gaza. Je m’en suis rendu compte : j’ai dû interrompre mes cours sur “Révolution et Cinéma” car, toutes les deux minutes, les murs de notre salle se mettaient à trembler dangereusement. Durant les 48 heures qui ont précédé l’ouverture du Festival de Films “Cinéma Sud”, une attaque massive de roquettes Qassam en provenance de Gaza s’est abattu sur Sderot. Les milliers d’obus tirés par les canons et les chars de l’armée israélienne n’ont pas réussi à venir à bout de ces tirs.
Le jour de l’ouverture du festival, je suis invité à répondre aux questions du présentateur du magazine télévisé “Nouvelle soirée”. Il me demande si le Festival ne risque pas d’être dérangé par les tirs de missiles Qassam. Je lui réponds que le bruit des bombardements israéliens est bien plus perturbant. Le chauffeur qui me ramène vers Sderot me demande comment s’est passé l’interview et je lui raconte. “Vous avez bien fait”, me dit-il, “ces bombardements, ça empêche mes enfants de dormir”.
 
 
 
 
 
 
 
 
 



[1]Tsahal : acronyme de “Armée pour la Défense d’Israël”