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Les imprécations de Yeshayahou by Antoine Perraud (Télérama)
04.08.1993
Itgaber : le triomphe sur soi, du documentariste Eyal Sivan, fore dans la pensée de Yeshayahou Leibovitz. L'Inde a eu le Mahatma Gandhi, la Grande-Bretagne, lord Bertrand Russell et Israël peut s'enorgueillir (ou doit subir !) du professeur Leibovitz. Persuadé que l'Etat hébreu développe, depuis la victoIre catastrophique, de 1967, une "mentalité judéo-nazie" Yeshayahou Leibovitz encourage, avec une énergie faramineuse pour ses 90 ans, les jeunes appelés à ne pas servir dans les territoires occupés. Profondément religieux, à fond pour la séparation de l'Eglise et de l'Etat, ce vieillard imprécateur et inclassable, toujours prompt à rattraper sa kippa quand elle part à la renverse, défie jusqu'au bon déroulement d'un documentaire. Ce film sauvegarde un art oratoire fait d'imprécations, de brisures, de silences et de répétitions propre aux prophètes subtils et grandiloquents que compta toujours le peuple juif. Eyal Sivan, qui a 61 ans de moins que le maître, poursuit ici un dialogue philosophique comme il s'en mène depuis Confucius et Socrate. Mais la dimension cathodique n'est jamais perdue de vue. Leibovitz est mis nez à nez, par le truchement du magnétoscope, avec de précédents enregistrements. Ce dispositif tente de bousculer un système de pensée tout en le pistant dans ses entrelacs. Leibovitz fonctionne en vase clos, comme le montre une rencontre qui tourne court avec Pierre Vidal-Naquet. Pas dupe mais fasciné, ce documentaire horripile et ravit. Il devait passer sur France 3. En l'absence de case idoine, il sort en cassettes. Les lois de l'audimat ont généré leur premier "samizdat" !