En hébreu, "Izkor" signifie "souviens-toi". C'est le premier mot d'une des prières juives les plus importantes lues à tous les petits Israéliens lors, de l'Izkor, la journée de la Mémoire. Avril est d'ailleurs le mois le plus important pour les israélites, jalonné de multiples fêtes et commémorations. En 1990, il a filmé les préparatifs de ces fêtes dans les écoles. L'occasion pour le réalisateur israélien Eyal Sivan de se souvenir de son enfance et de sa vie d'écolier, des cours sur l'Holocauste, le sionisme, l'histoire et les combats d'Israël… Et aussi de s'interroger : "Le souvenir, ciment de la société israélienne, n'est-il pas devenu un carcan, qui tourne tout un peuple vers le passé et non vers l'avenir ?"
Devoirs
Eyal Sivan est né en Israël en 1964 et a grandi là-bas. Tous ses souvenirs d'écolier et d'enfant sont ceux des cours sur L'Holocauste, le sionisme, les devoirs du citoyen et l'histoire de son pays. A l'origine du film "Izkor", il y a une question : "Je me suis simplement demandé pourquoi les Israéliens sont comme ils sont : groupés autour d'un consensus qui fait d'eux une société repliée sur elle-même. Quel est ce lien national qui a raison de toutes les différences et des clivages politiques ?" Réponse : le souvenir...
Ce n'est pas un hasard si, de son enfance, le réalisateur se souvient surtout des mois d'avril, le mois de toutes les fêtes en Israël. C'est d'abord, l'"Izkor", ("souviens-toi" en hébreu), la Journée de la Mémoire, pendant laquelle on lit le texte que tous les petits Israéliens apprennent par cœur, une exhortation à se souvenir, à ne jamais oublier. On fête aussi la pessah (la Pâque), qui commémore la sortie d'Egypte. Deux semaines plus tard, c'est le "Yom Hasho", en mémoire des 6 millions de victimes de l'Holocauste. Huit jours plus tard, la journée des Soldats, en l'honneur de tous ceux qui sont tombés pour Israël, dont les 15000 tombés dans la Guerre d'Israël. A peine cette commémoration est-elle achevée que commence la grande fête nationale israélienne, le Yom Haasmaut. Ces cérémonies qui se succèdent les unes aux autres sont en réalité à peu près similaires et sont avant tout destinées à rappeler sans cesse le passé et l'histoire du peuple Juif. "Le souvenir, explique Eyal Sivan, est le ciment de la société israélienne. Le mois d'avril, "un mois intense et triste", est le symbole de ce creuset qu'est l'Etat Juif. C'est lui qui règle les comportements, à la fois collectifs et individuels".
Mosaïque
En Israël, l'école se trouve en première ligne de la "production de mémoire". C'est une véritable mosaïque de la société israélienne qui vit à l'ombre d'un passé qui n'appartient qu'à elle. Eyal Sivan aurait pu tout aussi bien choisir comme cadre de son propos la famille, la presse écrite, la condition féminine ou bien encore l'armée, car en Israël, le rapport à la mémoire est inscrit partout et tout le temps. Son choix de l'éducation fut tout personnel et ne fut pas de tout repos. Accusé de vouloir tourner "un film sur le lavage de cerveau dans l'éducation israélienne", il se vit refuser l'entrée dans son ancienne école primaire. Tous les ans, les enfants chantent en chœur : "Esclaves nous étions, aujourd'hui nous sommes libres". Mais cette liberté n'est-elle pas finalement un autre esclavage, celui de la mémoire ?
La mémoire collective est devenue un outil, un instrument de cohésion entre les mains des enseignants et des éducateurs qui cherchent à perpétrer une idée en laquelle ils croient sans faillir : l'union qui fait la force... Interrogé par le réalisateur, le philosophe et chercheur Yeshayabou Leibowitz, professeur de pensée juive à l'Université Hébraïque de Jérusalem, met en garde sur les dangers de cette célébration trop monolithique du souvenir, qui reporte sans arrêt tout un peuple dans le passé au lieu de le tourner comme il se doit vers l'avenir. "La mémoire de nos deuils, explique le réalisateur, nous empêche de regarder la souffrance des autres, efface les souvenirs de ceux qui ne sont pas des nôtres ; justifie nos actes présents au nom de la souffrance passée".
"Izkor", malgré les apparences, n'est pas un film destiné aux Juifs. Mais il leur pose quand même un vrai problème : "Voilà un Etat, explique Eyal Sivan, qui a peu de choses à voir avec le judaïsme, mais qui utilise et manipule la mémoire juive en fonction de ses intérêts sociopolitiques. "Izkor" trace une ligne de démarcation très nette entre Juifs et Israéliens. Cette séparation entre les deux peut être douloureuse, mais elle est nécessaire..."