english
français
contact me

press
Jaffa, oranges de la discorde (lesinrock.com)

28.03.2010

Jaffa, oranges de discorde
Par Vincent Ostria (lesinrock.com)

A travers l’histoire de la culture des oranges de Jaffa, un documentaire d’Eyal Sivan retrace les conflits entre Juifs et Arabes.
On connaît assez bien Eyal Sivan, documentariste israélien qui restaura les images du procès d’Eichmann à Jérusalem, et coréalisa avec Michel Khleifi le controversé Route 181, fragments d’un voyage en Palestine-Israël, qui lui valut d’être accusé d’“antisémitisme juif” (sic) par Alain Finkielkraut. Sivan s’est également intéressé à la coercition en Allemagne de l’Est (Pour l’amour du peuple).

Dans Jaffa, la mécanique de l’orange, il poursuit sa croisade en analysant le processus d’appropriation de la culture de l’orange par les Israéliens, puis la transformation de la ville de Jaffa en marque déposée, voire en logo symbole de la réussite commerciale israélienne. Ce documentaire émaillé de photos et de nombreux films d’archive – dont une partie due au propagandisme de la Grande-Bretagne, principal artisan de la création d’un foyer juif en Palestine –, que commentent divers intellectuels et artistes israéliens et palestiniens, retrace les
grands moments de la culture de l’orange à Jaffa, qui correspondent aux différentes étapes du processus israélien, et qui montrent la montée de l’ostracisme dont furent victimes les autochtones arabes.
La vraie thèse du film, plus modéré que Route 181, est que, malgré des accidents de parcours importants (révoltes arabes contre les Juifs), la coexistence entre les deux communautés était dans l’ensemble plus harmonieuse avant la création d’Israël. D’après les témoins interrogés, jusqu’aux années 1940 Juifs et Arabes travaillaient souvent ensemble dans les plantations, que ce soit comme employés ou comme patrons. En 1948, les Palestiniens sont expulsés manu militari et le nouvel Etat juif nationalise la culture des oranges, annexant les domaines palestiniens ; certains anciens propriétaires arabes deviendront ouvriers agricoles. Mais ce n’est rien à côté des revendications de “préférence nationale” pour les Juifs. Plus récemment, une partie des orangeraies a été détruite car on soupçonnait que des Palestiniens s’y cachaient pour lancer des roquettes. Episode dont s’est sans doute inspiré le film israélien Les Citronniers, illustrant précisément ce conflit entre les deux peuples, concrétisé par un même enjeu politico-agricole : la culture des agrumes.
Le symbole de l’orange et l’image de Jaffa à travers les époques et les pays est par ailleurs analysé assez précisément ; Jaffa étant d’une certaine manière la vitrine positive d’Israël.
Comme le remarque ironiquement un intervenant, Jaffa est – avec Uzi, un pistolet mitrailleur – une des seules marques israéliennes connues dans le monde entier. De là à dire qu’on a confisqué Jaffa, qui abrite toujours un important contingent arabe, pour l’utiliser comme image de marque, il y a un pas que certains franchissent. Mais il ne faut pas oublier ce que le film ne précise pas, ou pas assez : Jaffa n’existe quasiment plus en tant que ville puisqu’elle est désormais intégrée dans l’agglomération de Tel Aviv.

Jaffa, la mécanique de l’orange Documentaire d’Eyal Sivan. Dimanche 28 mars > 21 h 30 > France 5