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Le procès Eichmann revisité Au-delà des tabous, Inteview by... [Tmagazine]

01.06.1999

Au-delà des tabous

Penser les réalités nécessite de s’en tenir aux faits, même ceux qui "fâchent". C’est la démarche de base du film "Un spécialiste", deux heures à partir du procès d’Adolf Eichmann à Jérusalem en 1961. Entretien avec le réalisateur Israélien et co-auteur avec Rony Brauman, Eyal Sivan. Celui-ci s’est aussi entretenu avec le public tremblaysien le 17 mai dernier au cinéma Jacques Tati.

Au vu des écueils que vous avez rencontrés, on se dit qu’il vous a fallu une grande détermination pour accomplir votre travail. Qu’est-ce qui vous y a poussé ?

Eyal Sivan : Nous avons certes passé un an et demi à visionner, mais il fallait, tout d’abord, pourvoir accéder aux documents. Il fallait aussi s’intéresser aux archives, une manière vivante, façonnable et pas une illustration. Au départ, il y a une réflexion politique qui se croise avec une réflexion sur le statut de l’image. Rony Brauman vient avec la réflexion politique liée à l’action humanitaire et un questionnement sur le rôle des organisations humanitaires dans les situations extrêmes ; donc critique de l’humanitaire au sens philosophique et lecture du livre de Hannah Arendt "Eichmann à Jérusalem". Par ailleurs, il y avait le travail que j’ai effectué sur la société israélienne et l’instrumentalisation de la mémoire comme arme politique, la question de l’obéissance, y compris l’obéissance des soldats israéliens (invasion de 1982 au Liban ; répression de la révolte palestinienne entre 1987 et 1993). Le livre de Hannah Arendt nous a inspirés ; il a été la grille de lecture des archives et notre "passoire philosophique". Nous savions par ailleurs que le procès Eichmann avait été intégralement filmé.

Et là démarrent pour vous les difficultés ?

Eyal Sivan : Là commence un bras de fer avec les archives israéliennes : nous demandons à voir les originaux et l’intégralité, ce qui nous est refusé. Au motif que le matériel a été abandonné puisque personne ne s’y intéressait. Au bout de ce bras de fer _dont je vous passe les détails qui se trouvent dans notre livre_ nous accédons aux originaux et nous découvrons que 150 h de matériel ont disparu, que les choses sont mélangées, désordonnées. Il n’existe pas de catalogue ni de référence de travail. Il nous fallait donc entamer un premier travail, que nous n’avions pas prévu : un travail d’archiviste, de manière technique. Cela a duré six mois, il nous a fallu ensuite un an pour aboutir à une première sélection, la matière première de la mise en scène des archives, soit la somme raisonnable de 70 h. Un an a ensuite été nécessaire pour le montage et la postproduction. Cela représente par conséquent deux ans et demi de montage et de postproduction. Au total, le projet s’est déroulé sur quatre ans et demi.

Les vérités que vous mettez à jour sont peu connues : le rôle de la Croix-Rouge et ceIui des Conseils juifs... Cela n’explique-t-il pas que le film ait occupé si peu de salles parisiennes ? N’y a-t-il pas là une forme de censure ?

Eyal Sivan : Il est intéressant que vous placiez ensemble la Croix-Rouge et les Conseils juifs parce qu’il y a une ligne qui relie l’attitude dans laquelle il faut bien distinguer l’échelle des responsabilités. En ce qui concerne les Conseils juifs, il y a une responsabilité morale, à partir d’un leadership politique qui prend des décisions au nom d’une société sous oppression, persécutée et eux-mêmes sous la contrainte, mais qui agissent comme si, en gardant une apparence de normalité. Nous parlons de responsabilité morale à cause du silence des, Conseils juifs par rapport au destin final des convois, qu’ils connaissaient très bien à partir de fin 1942 et1943. Le sujet des Conseils juifs reste un tabou. Très peu de travaux d’historiens existent à ce sujet qui reste un sujet qui fâche doublement : on prétend que Brauman et Sivan, à la suite de Arendt, renvoient bourreaux et victimes dos-à-dos ; remarque obscène et aberrante. Le livre d’Arendt, à sa sortie, a été l’objet d’une cabale internationale et d’une campagne de calomnie. En France, on a pu voir le "Nouvel Observateur" publier en 1963 un dossier intitulé : "Hannah Arendt est-elle nazie ? " A l’intérieur, on pouvait y lire des lettres signées de Levinas, Jankélévitch, Marienstrass... On peut aussi lire dans ce numéro des phrases qui indiquent que , à la lecture d’Arendt, on a l’impression que les juifs se sont auto-exterminés sous le regard narquois des nazis.
Personne ne s’est excusé de ces aberrations. Quant à la Croix-Rouge, on peut lui faire des reproches en amont : le CICR (Comité international de Croix-Rouge) garde le silence quant à la Croix-Rouge allemande, qui en fait partie, organise des cours de "raciologie". On retrouve ce fâcheux silence, cette "realpolitique", cette volonté de faire avec ce que Arendt a nommé "le moindre mal".

Le silence n’est-il pas le fond du débat ? On le voit avec Eichmann, mais aussi avec Papon... La question posée n’est-elle pas universelle ?

Eyal Sivan : C’est la question de l’ordre à tout prix, la question de la responsabilité pénale d’Eichmann ou de Papon, en passant par la responsabilité politique, la responsabilité morale, et, en fin de compte, celle de responsabilité individuelle face à un événement. Penser l’événement est une expression très chère à Arendt et il faut le penser en termes politiques et pas seulement humanitaires. C’est une question qu’on doit se poser de savoir si une aide humanitaire ne va pas servir à la machine à opprimer.

Votre film ne risque-t-il pas de déranger ?

Eyal Sivan : Vous posiez tout à l’heure une question intéressante, celle de la censure, puisque le film ne passe que dans une salle. Il est sorti sur deux salles, au lieu de quatre initialement prévues à Paris. 20 copies circulent en France, ce qui est déjà une grande sortie. Je ne crois donc pas qu’il s’agisse d’une censure à proprement parler. J’ai envie de vous suivre sur un élément : on pourrait dire d’une façon schématique que la réflexion politique avec un sujet comme le nôtre est mal vue. Ou, plus exactement, ce qui est bien vu, c’est la vision victimaire, misérabiliste et larmoyante. Un film de larmes, un film d’émotions. Un film centré sur la victime sera nécessairement mieux vu et aurait été aidé du point de vue de la production en amont. Peut-être aurait-il plus clairement présent sur les écrans et mieux soutenu. Nous sommes là dans le rapport général à la politique. Un événement politique a été érigé en événement sacré. C’est ce que nous essayons d’exposer dans notre livre "EIoge de la désobéissance". On a coupé cet évènement de l’Histoire, de la réflexion politique et de ses attaches dans le réel ; à partir de quoi on applique une grille de lecture, une vision, un mode de représentation qui seront hors monde. Qu’entend-on souvent ? Quand on parle de génocide des Juifs, ou on parle d’Israël, parce que la question se pose toujours, comme celle du sionisme... On nous dit souvent ce n’est pas la même chose. C’est-à-dire qu’on peut parler de façon décontractée de l’Afrique du Sud ou même de la Yougoslavie ; du génocide des Tutsis au Rwanda ou d’Arméniens, mais, s’agissant des Juifs, on va vous dire, ce n’est pas la même chose. Ce "n’est pas la même chose" est à combattre. C’est en effet exactement la même vision que celle des nazis. Les bourreaux voulaient montrer que les Juifs ne sont pas la même chose. Nous sommes donc entrés dans un monde du sacré avec des mots du sacré, comme "Shoah" "Holocauste", qui nous renvoient à l’indicible, l’impensable et ce genre de clichés.

N’est-il pas grave de le définir comme impensable ? N’est-ce pas une manière de le laisser réapparaître, tôt ou tard ?

Eyal Sivan : Ce qui se pose, dans tout cela, c’est la question de la représentation. Comment peut-on représenter un évènement politique, comment réfléchir avec et à travers cet évènement qui est la destruction des Juifs d’Europe, des Tziganes, des PoIonais, des Slovaques et d’autres... Comment peut-on y penser ? A travers Ie procès Eichmann, il ne s’agît pas de remettre en question la validité du procès, juridique ou politique, mais de poser cette question : peut-on, à partir d’un événement historique, avoir une réponse tout à fait claire et sociale qui est celle de la responsabilité ? C’est cela qui nous intéresse : rompre avec le monde dichotome (sic) où d’un côté sont les victimes et de l’autre, les héros. Le monde "dichotome" est ceIui des bourreaux : il y a eux et nous. C’est avec cela que nous avons voulu rompre de sorte qu’il y a une double décision : d’un côté, nous représentons le bourreau et non pas la victime ; de l’autre, nous nous intéressons _de façon chirurgicale_ à ces mécanismes qui peuvent et qui ont permis la construction de ce service public du crime. Ce qui est étrange est que le cinéma anti-nazi, le cinéma de mémoire, celui de l’histoire, aient repris le mode de représentation des nazis aux nazis eux-mêmes, tels qu’ils voulaient le montrer, comme race "des seigneurs". Montrer Eichmann derrière sa cage de verre en train de consulter ses papiers, c’est déjà rompre avec ce mode de représentation ; c’est ramener ce personnage hors monde dans un personnage ordinaire, humain en effet et non le montrer comme une figure canonique.

En France, la question de 1940 paraît occultée de la même façon, de manière manichéenne. C’est la même question sous-jacente, celle de la responsabilité individuelle dans une situation donnée. En diffusant une image manichéenne, ne contribue-t-on pas une reproduction éventuelle ?

Eyal Sivan : En tous cas, on détache de façon artificielle des attitudes de lâcheté, de dépolitisation, de leurs références dans l’Histoire et d’attitudes semblables ou analogiques dans le passé proche ou lointain. Vous, avez évoqué la France. Prenez l’exemple du Conseil juif de France : il a été l’un des plus "efficaces" de l’Europe de l’Ouest. Et aujourd’hui, les archives de l’UJIF sont fermées, on ne sait pas où elles sont. En tous cas jamais publiées, jamais dans les mains de chercheurs... Et pourtant, on connaît la frénésie mémorial et archiviste qu’on vérifie dans les questions encore récentes des fichiers, des spoliations... La matière physique qui permettra un travail des historiens n’est, pas encore ouverte. A propos de 40, on peut voir l’utilisation de la langue pour déterminer quelque chose qui n’est pas aussi clair : on parle d’occupation quand on pourrait dire la période de collaboration ou la période de modération. En parlant d’occupation, on désigne quelque chose d’entièrement subi alors qu’il n’y avait pas que cela. Il existait aussi une adhésion et Paxton a expliqué que Vichy ce n’est pas l’idéologie, mais surtout la technocratie et l’inertie administrative. A partir de là on va retrouver des figures, des mécanismes qui sont semblables à ceux d’Eichmann. Lui était au carrefour de l’extermination ; le logisticien, le manager de la Solution Finale. On va trouver que cette attitude technocratique, de justification a posteriori, dans les valeurs érigées sont l’obéissance ou au moins la fidélité _qu’elle soit à un régime ou sociale_ ou au travail bien fait sont en effet des valeurs partagées à la fois par Eichmann et Maurice Papon, celui-ci pas seulement secrétaire de la Préfecture de Bordeaux, mais aussi Papon Préfet de Constantine ou chef de la police de Paris.

Et dont la responsabililé est engagé dans les atrocités commises contre les Algériens le 17 octobre 1961 ?

Eyal Sivan : Absolument. Ce Papon là, nous n’avons pas le droit de le juger parce qu’il est passé dans la trappe de l’amnistie, qui est en soi plus que contestable...

Propos recueillis par P.F.



Débat
"La mémoire a remplacé l’Histoire"

Eyal Sivan était présent à Jacques Tati pour une rencontre-débat avec le public tremblaysien que l’on attendait plus nombreux et peut-être plus réactif.

Environ soixante-dix personnes étaient présentes au cinéma Jacques Tati pour rencontrer Eyal Sivan, le réalisateur du film. Le débat a débuté par des questions sur la méthodologie et sur la démarche suivie par le cinéaste et l’auteur Rony Brauman pour faire des 350 heures d’archives initiales un film de seulement deux heures. "Notre travail a consisté avant tout à délimiter le champs de la compétence administrative d’Adolf Eichmann afin d’extraire de ces archives uniquement le procès du "spécialiste". Tout ce qui touchait l’expérience concentrationnaire et le témoignage des survivants constitue une partie énorme du procès de Jérusalem, mais ne faisait plus partie de notre film précise Eyal Sivan.

La notion de responsabilité

"Pourquoi avoir laissé les images de personnes qui troublent le procès et sont évacuées par le service d’ordre ? Est-ce par souci dramaturgique ?" interroge un spectateur. Eyal Sivan explicite ce choix : "Ces images traduisent ce qu’a ressenti le public durant le procès. Toutefois, il faut noter que la première personne s’en prend à Eichmann en le traitant de boucher. En revanche, la deuxième s’en prend à un représentant des Conseils juifs. Cela fait partie des moments qui ne sont pas restés dans la mémoire collective pour la simple raison que le sujet est tabou. Le rôle de ces Conseils a évolué en parallèle avec celui d’Eichmann qui est au début un expulseur puis devient l’organisateur des convois pour l’extermination. Il faut donc s’interroger aussi sur la responsabilité morale des Conseils juifs." Une femme réagit : "II ne faut quand même pas oublier que les juifs ne se sont pas mis à cette tâche de leur plein gré, mais qu’ils y étaient obligés. Certains se sont d’ailleurs suicidés." Eyal Sivan : "Tout cela est juste et il est évident que ces structures étaient des institutions manipulées et imposées par les AlIemands" répond le cinéaste. "Mais ce qui a été reproché à ces Conseils, c’est d’avoir pris la responsabilité de ne rien dire de ce qu’ils savaient, de n’avoir pu partagé avec le peuple un certain nombre d’informations. C’est en résumé d’avoir préféré le silence, et donc l’ordre social, au Chaos. Ce silence, on l’a reproché de façon claire à la Croix-Rouge qui a visité les camps, qui savait ce qui se passait et qui était par exemple au courrant de la nazification de la Croix-Rouge allemande et du rôle qu’elle jouait. Pourquoi dans ce cas ne s’interrogerait-on pas aussi sur l’attitude des Conseils juifs ? Pourquoi ce sujet devrait-il être tabou ?"

Le film en Israël

Quelqu’un : "votre film a-t-il été diffusé en Israël ?" Eyal Sivan précise qu’il est effectivement sorti à Jérusalem, Tel-Aviv et Haïfa. "Etrangement la question des Conseils juifs n’était pas présente dans les débats, non pas parce que c’est un sujet tabou, mais parce que la société israélienne porte un jugement très sévère sur le sujet au point que "judenrat", (Conseils Juif en allemand) est devenu une insulte, donc plus un sujet de débat. Ce dernier est plutôt axé tout d’abord sur la résurgence de la notion d’obéissance qui avait déjà émergé lors de la guerre du Liban, ensuite autour du livre de Hannah Arendt "Eichmann à Jérusalem" et sur la façon dont a été conduit le procès. Il y a aujourd’hui une évolution de la représentation du génocide et une sorte de ras-le-bol des discours larmoyants à outrance. Il y en a assez de cette pression moralisatrice permanente, interdisant de penser au-delà de tous ces slogans que sont l’impensable et l’indicible. Pourtant, il existe bien un espace de réfIexion sur la, "Shoah". Le témoignage de rescapés et les images fortes ne sont qu’un seul registre de communication. La conséquence de cela est que la mémoire prend la place de l’Histoire. Et une grande partie du discours attaché à la "Shoah" est là pour soutenir politiquement en lsraëI." La question du procès est abordée : "avait-on besoin d’autant de temps pour condamner un criminel de guerre ?" s’interroge un spectateur. Eyal Sivan rappelle qu’il faut se replonger dans le contexte de l’époque : "Avant le procès, personne ne voulait entendre parler des témoignages, des rescapés, puis, avec l’évènement, une sorte de frénésie mémoriale est apparue, comme d’ailleurs la notion de devoir de mémoire. C’est toute une période qui s’ouvrait avec, pour, la première fois, la diffusion d’images choquantes et de très nombreux témoignages de déportés. Le procès s’est étalé dans le temps parce que ce n’est pas Eichmann qui a été à Jérusalem, mais bien le nazisme dans sa globalité."

Compte rendu : LM.



Le débat continue

Un sujet si délicat, enfoui avant que ce procès ne le replace sur le devant de la scène, ne peut que susciter la pluralité des avis. Parole donc aux spectateurs du 17 mai.

Il est minuit. Dans le hall du cinéma, Eyal Sivan dédicace "Eloge de la désobéissance" à de nombreux spectateurs. Mais les images du film, encore présentes, suscitent les premiers commentaires, les premières réflexions. "Eichmann nous est présenté comme le fonctionnaire qu’il fut, constate Lucien. Ce qui m’effraie le plus, c’est justement la manière dont il parIe de son activité de fonctionnaire. Il raconte les trains qu’il était chargé de former, les endroits où il devait les faire arriver. Mais à l’écouter, on ne peut pas deviner qu’ils transportaient des hommes. Ils auraient pu contenir du bétail ou de la marchandise. Il convoyait du bétail. Il entassait du bétail. L’individu, l’être humain ne comptait pas."

Que voulons-nous transmettre ?

Micheline poursuit sur la même image : "A ce moment du film, j’ai pensé à "Shoah", de Claude Lanzmann, quand quelqu’un nous explique que les camions qui servaient à gazer les gens n’étaient pas assez performants. La logique est la même pour Eichmann. Chaque train devait amener 1000 personnes au terme du voyage. On y mettait donc 1020 au départ pour tenir le contingent, malgré les morts survenues en cours de route." Puis elle poursuit sa réflexion sur la manière dont elle a reçu le film. "J’ai envie de dire qu’il me fait un peu peur. A mes yeux, il traduit un décalage important entre la vision de la génération de Eyal Sivan et la nôtre, celle qui a vécu ou qui est née pendant cette période. Quand nous aurons disparu, les jeunes seront-ils encore capables de comprendre ce qu’a représenté le génocide des Juifs ? Personnellement, je trouve que le film ne rend pas compte de l’industrialisation de cette mort programmée. Je n’ai pas compris le choix du réalisateur de ne pas monter en clair les images de la déportation montrées pendant le procès." Tadek, jusque-là silencieux, intervient dans le débat improvisé. "Ce film est le film d’un procès. Et pour comprendre le sens d’un procès, il faut en connaître la cause. Quand on ne connaît rien à la Shoah, il me semble difficile de comprendre ce film. On aurait dû montrer cet homme, avec son beau costume de SS, dans toute sa splendeur." Mais est-ce le sujet du film "Un spécialiste" ? Non, bien sûr, poursuit Tadek. Ce qui émerge aujourd’hui dans les débats semble être le devoir de désobéissance, à quelque niveau de responsabilité qu’on se situe. C’était aussi présent dans le procès Papon.

Un regard nouveau

Une autre question m’a également frappé dans le débat : celle des archives et de leur héritage. A qui seront-elles confiées ? A quoi serviront-elle ?" Nicole, de cette jeune génération dont parlait tout à l’heure Micheline, exprime une opinion très différente : ce qui m’a plu dans ce film et dans le propos d’Eyal Sivan, c’est le regard nouveau qu’il porte sur ces questions. Si c’était quelqu’un comme moi, qui ne suis pas juive, qui avait exprimé ce genre d’idées, on m’aurait traitée d’antisémite. Le fait que ce soit une personne de ma génération, juive et née en Israël qui tient ce type de propos, ça m’a fait du bien. Il sait évacuer le côté larmoyant, présent dans trop de discours et qui masque bien des vérités parfois difficiles à regarder en face. Après ce film, je me pose beaucoup de questions. Faire du procès Eichmann, comme du procès Papon, le procès du nazisme, n’était-ce pas une erreur ? Est-ce que ça n’a pas conduit à s’exonérer de questions plus politiques, plus historiques et à s’en tirer en disant que maintenant c’est fini ? Et comment comprendre que, malgré l’entretien de ce devoir de mémoire, puissent se produire aujourd’hui des événements comme ceux du Rwanda ou du Kosovo ?" L’heure avancée a contraint les "dialogueurs" à se séparer. Et nul doute que leur réflexion ne sera pas totalement de même nature après cette soirée.

Y.D.