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Israël-Palestine : un pays, un regard by Lionel Chiuch (Tribune de Genève, Suisse)

29.11.2003

Deux cinéastes, l’un israélien et l’autre Palestinien, traquent la mémoire au fils des rencontres

Un jour d’été 2002, ils ont pris la route, comme on dit. L’Israélien, EyaI Sivan, et le Palestinien, Michel Khleifi. Pour principal bagage, une caméra, pour toute intuition, celle qu’il n’existe qu’un seul pays, le leur, Palestine-Israël. De ce périple de deux mois, ils ont tiré un documentaire de 4 heures 30, Route 181, fragments d’un voyage en Palestine-Israël. Inutile de chercher cette route sur la carte : virtuelle, elle suit les frontières de la résolution 181 adoptée par les Nations Unies le 29 novembre 1947 qui prévoyait la partition de la Palestine en deux Etats. La route est imaginaire mais la frontière dans les esprits, qui ne cesse de s’affirmer au hasard des rencontres et des témoignages, est bien réelle. A cette fracture, les deux hommes ont opposé la formule affirmant qu’être deux, c’est “regarder ensemble dans la même direction”.

“On partageait la même interrogation, explique EyaI Sivan. C’est un film qui nous ressemble, avec une narration commune”. “Ce pays a besoin d’un seul regard”, renchérit Michel Khleifi. Voilà pour la forme. Pour le fond, ce qui se dessine, c’est le portrait d’une humanité morcelée dont la caméra vient débusquer la chair et bousculer l’âme.

Situation kafkaïenne

Saisis dans leur quotidien, hommes et femmes, Israéliens et Palestiniens, civils et militaires délivrent un discours qui se débarrasse peu à peu de sa gangue idéologique. C’est ce soldat israélien, féru de philosophie, constatant que “la situation est kafkaïenne”. Ou cet autre qui, volontairement, se plante devant l’objectif pour déclarer que les Israéliens “ont un cœur”, qu’ “eux, au moins, connaissent la pitié”. C’est encore ce jeune berger arabe qui décrète que les Arabes “sont des chiens” avant de lâcher : “De toute façon, ils sont tous fous”. Etrange folie, en fait, où se mêlent la haine, l’humour, la méfiance, la culpabilité souvent, la compréhension parfois.

On arrivait et on commençait à filmer, commente Michel Klheifi. Les choses se passaient de manière instinctive. Parfois, je sentais que je ne devais pas être là. Pas à cause ma gueule, mais pour l’aspect émotionnel.” La surprise, note son compagnon, c’était de voir la facilité avec laquelle les Israéliens reconnaissent la réalité coloniale”.

Un travail de mémoire

Tout au long de leur édifiant voyage, les deux hommes se sont attachés à “faire sortir la vérité”. “Il faut libérer la parole, souligne Eyal Sivan. La négation, de l’autre, de l’histoire, des faits, est une grande part du conflit lui-même.” Et d’en appeler à une démarche cathartique générale. “Une chose fondamentale, c’est qu’un traumatisme ne s’élève pas contre un autre, poursuit le cinéaste. Je pense qu’il faut rentrer dans une réflexion commune, qui renvoie à un projet avec une vision d’avenir”.

“Tôt ou tard, il y aura une reconnaissance de l’autre, assure pour sa part Michel Khleifi. Il faut travailler sur la mémoire. Notre avis, c’est qu’on pourra, vivre à nouveau ensemble.” Excès d’optimisme ? “On était pessimiste avant de partir, conclut Eyal Sivan. La condition de la réconciliation, aujourd’hui, c’est un travail sur les faits, sur la réalité.”