english
français
contact me

press
Route 181 by Vincent OstzIa (Les Inrockuptibles)

19.11.2003

Le conflit Israël-Palestine est un grand révélateur de la bêtise humaine, comme le prouve cette traversée du pays entreprise par deux cinéastes issus des deux communautés.

Israéliens et Palestiniens ne valent guère mieux que les Shadoks et les Gibis qui, dans les années 70, faisaient marrer la France entière avec leur guéguerre ubuesque. C’est un peu la limite de ce documentaire en roue libre, où on laisse s’exprimer l’animosité des uns et des autres sans prendre beaucoup de distances par rapport à cet antagonisme aveugle. Le film est une sorte de micro-trottoir du sud au nord d’Israël, le long du tracé virtuel des frontières de la résolution n°181 adoptée par l’Onu en 1947. En même temps, ce road-movie fleuve (quatre heures et demi, quand même !) à la rencontre des autochtones est une formidable immersion dans la réalité ordinaire de ce pays, fondé il y a cinquante ans sur un postulat impossible : imaginez qu’un matin un homme débarque dans votre maison et vous en expulse sous le prétexte que ses ancêtres y habitaient il y a deux mille ans... Aujourd’hui, les uns et les autres doivent s’accommoder de cette greffe forcée, mais ils semblent en être incapables, à part quelques esprits éclairés comme Michel Khleifi, pionnier du cinéma palestinien, et Eyal Sivan, réalisateur israélien, qui signent ce documentaire relativement objectif. Mais fallait-il près de cinq heures, on se le demande, vu le nombre de témoignages obtus qui ne font que ressasser les clichés racistes des uns et des autres ? Certes, c’était le but du jeu, traverser le territoire israélien et donner la parole à ceux qui se présenteraient sur le chemin. Quitte à les titiller en leur posant des questions parfois provocantes. Devant son tank, un soldat évoque Le Procès de Kafka, remarquant “Notre monde est kafkaïen”. A quoi l’un des cinéastes rétorque, “Connaissez vous les écrits d’Hannah Arendt sur la "banalité du mal" ?” Non, Hannah Arendt, connaît pas... On apprend bien sûr des choses sur la fondation d’Israël, grâce à d’anciens pionniers qui ont participé à l’implantation des juifs en Palestine. Mais en même temps, lorsque les intervieweurs poussent ces anciens dans leurs retranchements, leur demandent comment ils justifient l’expulsion des Azabes, la destruction de certaines de leurs villes, ce qu’ignore la majorité des jeunes Israéliens, ils ne savent pas quoi répondre. La loi du plus fort a prévalu. Tous les Israéliens interrogés ne sont pas bornés, mais ils donnent tous l’impression d’avoir été piégés par le mythe de la Terre promise, dont ils n’avaient pas mesuré les conséquences au départ. Certains regrettent même leur ancien pays, comme ce couple originaire du Maghreb, dont le fils a été tué durant la guerre du Liban, qui ne trouve aucun sens à cette existence sur une poudrière. L’Etat Israël existe, fonctionne, mais, malgré un fort auto-endoctrinement, malgré un immense pouvoir de résistance au monde arabe qui l’encercle, il ne parvient jamais à jouir de ses acquis. Ce documentaire montre que beaucoup d’lsraéliens sont Israéliens malgré eux. Le dogme a suppléé la croyance.

Vincent OstzIa