EN TOUTE INDÉPENDANCE
Joël Amaury, du Groupement national du cinéma de recherche, soutient Un spécialiste, de Rony Braumann et Eyal Sivan
Notre groupement de salles a choisi, depuis plusieurs années, d’aider la diffusion, sur grand écran, de documentaires de création. Ainsi, ces derniers mois, Pas vu pas pris, Fragments sur la misère, ou le magnifique Grands comme le monde. Choix, on le voit, doublement politiques : il s’agit pour nous autant d’accompagner des ouvres qui questionnent le réel que de défendre une certaine idée de la salle de cinéma, comme lieu de découverte, d’échange et de liberté dans la cité. Lieux de résistance aux idées comme aux images dominantes.
Aujourd’hui, nous avons choisi de soutenir la sortie d’Un spécialiste, le film de Rony Brauman et Eyal Sivan, qui nous semble poser au spectateur, au citoyen, une riche palette de questions, touchant au crime administratif mais aussi au statut des images et des sons, au cinéma donc.
En effet, s’éloignant du simple film de montage d’archives - ce qui ne serait déjà pas rien, puisqu’il s’agit des images du procès Eichmann -, les auteurs, en mettant en scène un homme ordinaire devenu complice actif de la mise à mort de millions de personnes, touchent au crucial : la question de la responsabilité individuelle, du choix, de l’obéissance ou non à des lois iniques. Question toujours d’actualité, leur travail sur les images et les sons - choix dans les 350 heures d’archives, " nettoyage " numérique de l’image et du son - visant à rapprocher cet événement de notre présent, pour en faire des outils de pensée, pour aujourd’hui.
Car la situation extrême créée par la furie hitlérienne ne renvoie pas seulement à un épisode singulier de l’histoire des malheurs d’un peuple. Elle nous parle du présent, elle nous dévoile une dimension terrifiante de la modernité - le crime administratif - dont chacun peut constater la présence diffuse dans le monde de tous les jours.
Ce film exceptionnel - inspiré de l’ouvrage de Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem - est donc un essai profondément politique, cette réflexion à l’écran illustrant la présence du " cas Eichmann " dans notre environnement familier et nous montrant les ravages de l’obéissance.
Joël Amaury