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Israland, la terre promise by Christine Guillemeau (TéléK7)
13.11.1991
Ouvriers israéliens et Palestiniens ont construit Israland, un gigantesque parc d’attractions en plein désert. Un rêve à l’avenir improbable.
Guerre du Golfe, février 1991. Alors que Tel-Aviv tremble sous les missiles irakiens, Eyal Sivan, le réalisateur israélien d’Izkor, décide en urgence de rentrer au pays. Seules marques du drame sur place : les habitants calfeutrés dans des pièces étanches lors des alertes, masque à gaz collé contre la face. Sur place, Eyal Sivan filme. Mais, comment filmer l’angoisse, la peur ?
Au sud de Tel-Aviv, presque en plein désert, la vie continue. Comme avant. Dans un paysage lunaire et fantasmatique, un architecte d’origine allemande, Gershom von Chwarz, devenu citoyen israélien, surveille les travaux d’un chantier. Israland, un Luna Park à l’israélienne, s’y construit. Ensemble et apparemment sans heurts, ouvriers palestiniens des Territoires occupés et ouvriers israéliens cohabitent. Ensemble, ils construisent de fait un rêve. Tout en s’ignorant. Coincé entre des voisins arabes hostiles, Israël doit faire face en effet à deux menaces : l’une venant de l’extérieur et momentanément d’Irak, et l’autre de l’intérieur. Mais c’est la seconde qui est la plus dangereuse : la cohabitation sur le chantier entre ouvriers israéliens et palestiniens si elle est possible matériellement, s’avère en effet impossible dans les esprits. Un mur sépare les deux communautés. “On a envie de les tuer. De les exterminer. Tous. J’ai compris qu’il fallait faire notre maximum pour notre pays. Il nous faut essayer de le construire nous-mêmes, sans les Arabes”, lâche convaincu Avi Metodi, un conducteur d’engin israélien. De leur côté, Abi Khadit et Abou Ramzi, tous deux ouvriers palestiniens, n’arrivent pas à se résigner. Ni à se taire. Leurs conditions de vie sont mauvaises, voire déplorables, et leur avenir semble bien incertain. “L’ouvrier juif ne peut rien pour moi, car on est dans le même bain. Lui aussi il doit travailler pour gagner sa vie et ca n’est donc pas à lui de défendre mes droits.” Pour eux deux, les choses doivent être clairement posées : “C’est à l’Etat d’assurer l’égalité entre Juifs et Arabes.”
Métaphore pour une paix impossible, cet Israland, qui a ouvert ses portes après la guerre du Golfe sous le nom de Superland, ressemble fort à une chimère. Une enclave à l’occidentale, toute de légèreté et d’harmonie ; hors du temps et des affrontements, dans un pays coupé en deux. Gershom von Chwarz, lucide, en est persuadé : “Ce pays, tout entier, n’est qu’un vaste Luna Park à l’américaine. Tant qu’on continuera à vouloir imiter l’Amérique, tant qu’on ne fera aucun effort pour faire partie du Moyen-Orient ce sera la catastrophe...” Au moment où se tient à Madrid une conférence internationale pour la paix au Proche et au Moyen-Orient, Israland ressemble à un rêve lointain et inaccessible.