Après “Izkor”, un documentaire fort sur les Israéliens et le culte du souvenir, Eyal Sivan est retourné dans son pays pour y filmer la guerre du Golfe. Par hasard, il y découvrit un chantier-symbole, Israland. Un Disneyland Israélien, théâtre du conflit israélo-palestinien.
Dix jours après le début de la guerre du Golfe. Eyal Sivan, jeune réalisateur israélien vivant en France depuis six ans, part pour Israël, son “laboratoire à images”. Il ne sait pas encore ce qu’il va filmer et s’attend à trouver Tel-Aviv en ruines : “En France on avait droit à un tel délire sur les six chaînes...” D’un rendez-vous avec un ami architecte allemand converti au judaïsme, Eyal Sivan trouvera son sujet.
Disneyland des sables
A dix kilomètres de Tel-Aviv, entre la décharge, la station d’épuration et les batteries de Patriots qu’il ne filmera jamais, un immense chantier surgit des sables. On y construit un Lunapark dont le nom est une métaphore a lui seul. "Israland". “Pendant la guerre du Golfe, en Israël, les gens raisonnaient individuellement d’une façon assez sereine, explique Eyal Sivan. Mais, ils n’arrivaient pas à l’exprimer car il régnait une sorte d’hystérie collective. J’ai cherché une métaphore pour montrer cette hystérie et je l’ai trouvée sur le chantier d’"lsraland", la réplique israélienne du Disneyland.” A travers le microcosme du chantier, Eyal Sivan esquisse le vieux conflit israélo-palestinien, exacerbé par la guerre. Un contremaître Israélien raconte que c’est au service militaire que s’est développée sa haine anti-arabe ; des ouvriers palestiniens coupés de leur famille, ne cachent pas leur amertume ; un autre préfère se taire ; le veilleur de nuit écoute son transistor, comme si de rien n’était ou presque. Quant à l’architecte, cet Allemand devenu Israélien, il fait le point : “Eriger dans les sables un rêve de béton et de ciment, à cet endroit, ça ne dérange personne. Quant au grand Israël-Land, c’est autre chose. L’analogie ne fonctionne plus. L’Israël-Land, ça dérange parce qu’il ne fait pas partie du Moyen-Orient, il est venu s’y greffer. Et comme la greffe ne prend pas, il a été rejeté”, analyse-il. Alors, certains d’entre eux partent s’installer ailleurs, déçus et tristes de quitter un pays qu’ils avaient bâti ; d’autres, comme les Soviétiques, débarquent pleins d’espoir. Et pendant ce temps-là, les négociations de Paix et les discussions sans fin et à rebondissements, continuent. “Tout le monde, au Moyen-Orient, Juif ou Arabe, souffre d’une maladie infantile, le chauvinisme”, déclare l’architecte. “En Israël, on dit qu’il y a trois millions d’habitants et neuf millions d’opinions”, renchérit Eyal Sivan.
Mais lui non plus n’arrive pas à trouver l’équilibre. Il a quitté Israël il y a six ans, “parce que je prenais du recul par rapport à la société Israélienne. Je commençais à m’interroger sur celle-ci”, avoue Eyal Sivan. Depuis, il vit en France, mais a gardé son passeport israélien. Sans jamais l’avouer, si ce n’est au travers des images et des gens qu’il aime, il porte un regard des plus critiques sur son pays. Qui aime bien, châtie bien. “Je me positionne face à la société israélienne et non pas dans cette société”.
Izkor, son deuxième film diffusé en mars dernier sur FR3 en témoigne. Izkor fut d’ailleurs très mal reçu en Israël. Eyal Sivan, à travers le système éducatif basé sur le culte du souvenir, dénonçait le fonctionnement de la société Israélienne. “Si l’Etat d’Israël continue à se définir par rapport à ce que les autres ont fait subir aux Juifs, alors la société israélienne court à sa perte... Ce serait un réel bouleversement de comprendre qu’on ne peut pas se défendre avec sa mémoire. On ne peut l’utiliser comme un justificatif à l’infini”, expliquait Eyal Sivan à la sortie de Izkor. Profondément marqué par ce conflit Israélo-palestinien, Eyal Sivan avait réalisé son premier documentaire sur les réfugiés palestiniens chassés de leurs villages lors de la formation de l’Etat d’Israël en 1948. Ce film, Aqabat Jaber, vie de passage, qui marquait le premier pas de la réflexion d’Eyal Sivan sur son pays, reste enfoui dans les sables.
lsraland dans la bouche de l’un des ouvriers palestiniens : “Chacun de nous a fabriqué une rose. Mais la nôtre n’a pas été plantée parmi les autres fleurs. Elle a été abîmée par les vents violents qui s’abattent sur elle, venant de toutes parts. Chaque fois qu’un pétale sera arraché par le vent, la rose repoussera plus forte encore”. Aux mots crus et au choc des photos, Eyal Sivan préfère les images qui donnent à réfléchir.