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Izkor, les esclaves de la mémoire by Valérie Marin La Meslée (France Soir)
25.03.1991
Réalisé par Eyal Sivan. Mention spéciale du Jury et Prix Procirep au Fipa,1991. A travers ses souvenirs d’enfant et d’adulte, le réalisateur Eyal Sivan s’interroge sur la société israélienne et pose la question : aujourd’hui, qu’est-ce qui unit les Israéliens et les empêche d’avoir un regard critique sur eux-mêmes ? La mémoire et son utilisation, notamment celle du génocide et des guerres d’Israël, sont les thèmes centraux de ce document, tourné au mois d’avril 1990. C’est à cette période que se succèdent quatre célébrations fondamentales en Israël : Pessah, la Pâque juive ; le jour de commémoration de l’héroïsme ; le jour de commémoration des soldats du Tsahal morts pour la patrie et la fête nationale du Jour de l’Indépendance.
L’histoire douloureuse du peuple juif, leur est enseignée très tôt. Pour défendre quelles valeurs ? Toute la question est là.
Quand les enfants israéliens baissent les bras puis les lèvent, évoquant le passage de l’esclavage à la liberté du peuple juif pendant la fuite d’Egypte, quand ils récitent le martyre de six millions des leurs, en étant priés de mettre le ton et de penser ce qu’ils disent, quand ils découpent des étoiles jaunes, quand ils s’immobilisent, et le pays avec eux, au bruit de la sirène commémorative qui hurle comme les victimes, que font-ils ? Ils se souviennent. “C’est vrai qu’on étudie ; souvent les mauvaises choses”, dit Kéren, 14 ans, “mais il faut se souvenir.” “Quand on me raconte la Shoa, c’est comme si c’était à moi que c’est arrivé”, dit une autre. Pourtant, sur le mur d’une classe, un graffiti proclame : “L’histoire ne nous apprendra jamais rien” et c’est signé Sting.
AVRIL
Izkor veut dire “souvenez-vous” ou “il se souviendra”. L’auteur de ce documentaire exceptionnel (et primé), Eyal Sivan, est né, a grandi en Israël, où, pendant sa scolarité, comme tous les petits Israéliens, il a dû se souvenir à son tour, guidé par ses professeurs, de la tragique histoire du peuple auquel il appartient. Loin de son pays, et très marqué par cette éducation, il en a fait le sujet de son film, choisissant pour cadre ce mois d’avril “si triste” en Israël parce qu’il est ponctué par les célébrations de la Pâque (fuite des esclaves hébreux d’Egypte), de la Shoa (génocide des juifs), des soldats morts pour la patrie, et du jour de l’indépendance, fête nationale. A travers les propos d’adolescents, de jeunes enfants, de familles, de professeurs (qui ont du mal à se remettre en question), Sivan offre un tableau inquiétant de t’éducation des futurs citoyens de l’Etat d’Israël, proche de l’embrigadement. Comment ne pas devenir un bon soldat, pour que "cela" ne recommence pas ?
SAGE
“Ici quand on parle des gens, ce qui compte le plus c’est : est-il un bon soldat, était-il ou sera-t-il un bon soldat ?”, dit le professeur Leibovitz, qui fait figure du sage dans Izkor. Tout au long du documentaire, les interventions de ce grand intellectuel israélien sont capitales. “On utilise cette mémoire pour détourner notre pensée des questions : qui sommes-nous vraiment, quelles valeurs reconnaissons-nous ?” ajoute-t-il, pessimiste. “On se souvient de ce qu’on nous a fait, cela nous absous de tout.” “En vérité, intellectuellement, la Shoa est un problème pour les non-juifs qui ont fait cela et non pas pour nous, qui l’avons subie.” Etre juif, est-ce que ça veut seulement aujourd’hui avoir subi tout cela ? Est-ce se définir par le passé ? C’est la question que pose ce film courageux.
Valérie MARIN LA MESLEE