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Mémoire et espoir by Jean-Pierre Dufreigne (L'Express)
21.03.1991
A I'heure où "le Chagrin et la pitié" sort en cassettes, où aux enfants de Pithiviers, à l'affaire Bousquet succède l'affaire Boudarel, où, après la Seconde Guerre mondiale et l'Occupation, la France passe (enfin) au crible ses guerres coloniales, à la télévision, l'émission la plus dérangeante depuis longtemps traite aussi de la mémoire d'un peuple. "Izkor" (Souviens-toi, en hébreu), film d'Eyal Sivan, programmé dans "Océaniques", sur FR 3, lundi 25, à 22 h 50. Nul ne sort indemne de ces deux heures consacrées à l'enseignement en Israël pendant les quatre semaines d'avril 1990, mois fertile en célébrations : la Pâque, l'anniversaire de la Shoah, l'hommage aux héros morts pour la patrie et la fête de l'indépendance. Un peuple saisi dans ses écoles, au sein des familles, ainsi que chez un vieil homme qui a formé une génération d'enseignants, le Pr Yeshayahou Leibovitz.
Un peuple, un pays, une histoire, l'Histoire est nécessaire à une nation, comme les racines à une plante. Pas d'union sans un passé partagé. Etudié, débattu. L'Histoire est ce qu'on a fait. Tout ce qu'on a fait. Guerre et paix. Libération et asservissement. Ce passé accepté démaquille le présent et dessine un visage aux avenirs possibles. Mais l'Histoire a sa caricature : la commémoration, la commémoration ne prête pas à discussion. Elle s'exécute. La commémoration, c'est de l'Histoire en uniforme. Avec défilés militaires et formules rituelles. Dans ce pays menacé, la commémoration est une tentation perpétuelle. Une ligne de défense des mentalités d'assiégés. "Je demande toujours aux directeurs d'école s'ils forment de bons soldats ou d'honnêtes gens", dit Leibovitz, inquiet de voir la jeunesse d'Israël marcher au pas, "de la crèche à l'armée". C'était avant les Scud. Les images montrent des institutrices qui appliquent le programme comme un ordre de mission. Parti pris ? Oui. Dès le sous-titre du film : "l'esclavage de la mémoire". Provocation quand cette mémoire est celle du peuple juif ? Oui, encore. Car la part la plus douloureuse de celle-ci, la Shoah, n'est épargnée ni par Leibovitz ni par Sivan, "Si nous nous définissons par ce que des non-juifs nous ont fait subir, nous n'avons plus besoin de nous poser les questions : qui sommes-nous ? Quelles sont nos vraies valeurs ? Cela nous dégage de toute responsabilité envers les autres", poursuit le vieil homme triste.
"Dans les Territoires, les enfants arabes lancent des pierres contre notre armée. Ils se battent pour leur liberté. Nous l'avons fait, Avant, on s'entendait comme des frères." Celui qui parle se nomme Oshik Ohana (photo). Il n'ignore rien de l'histoire d'Israël. Il a 13 ans. Mémoire d'espoir ?