Le 3° FIPA de Cannes fut une belle occasion de revoir notre histoire. Voyage à travers ces documentaires qui parlent tout autant de nous.
Coïncidence du voyage et des images, le premier film vu à mon arrivée au Palais des Festivals devait se révéler symptomatique : Izkor les esclaves de la mémoire. Izkor signifie en hébreux Souviens-toi ! ou Il se souviendra. C'est sur cet impératif imposé aux enfants d'Israël que s'interroge le réalisateur Eyal Sivan, israélien lui-même, et qu'il interroge en contrepoint le philosophe Yeshayahou Leibovitz. "En vérité, intellectuellement, la Shoah est un problème pour les non-juifs, et non pas pour nous, déclare le vieux sage... On se souvient de ce qu'on nous a fait, ça nous absout de tout. Nous pouvons tuer les Arabes dans les camps de réfugiés puisque c'est à nous que ces choses ont été faites. (...) Rien n'est plus commode, psychologiquement, que de nous définir en fonction de ce que les autres nous ont fait subir. Plus besoin de nous demander qui nous sommes, ce que nous valons, ce que nous devons faire."
On s'en doute, a fortiori dans l'actuel contexte guerrier, la diffusion de ce film courageux, prévue sur FR3 Océaniques en mars et suivie d'une sortie en salles, n'ira pas sans remous. La polémique risque de s'enfler de ce que critique justement le film : le sionisme n'a-t-il pas en commun avec le socialisme dans un seul pays et autres formes du nationalisme, de pousser à considérer comme ennemis du peuple ou traîtres tous ceux qui se permettraient de critiquer sa politique identifiée à la survie même de la patrie (en danger) ? "Il existe une voie qui mène de l'humanité, via la nationalité (érigée en programme), à la bestialité. Sur cette voie, le peuple allemand est allé jusqu'au bout. Et c'est cette voie que nous avons empruntée depuis la Guerre des six jours", commente laconiquement le vieil empêcheur de penser en rond, Leibovitz. Le film d'Eyal Sivan s'articule autour de scènes d'école, d'interviews d'élèves et de maîtres, réalisées pendant la période printanière des quatre commémorations fondamentales : la Pâque juive (fuite d'Egypte des esclaves hébreux), le jour de la Shoah, le jour des soldats de Tsahal morts pour la patrie, le jour de l'Indépendance. "Esclaves nous étions, chantent ensemble les élèves en s'abaissant, maintenant nous sommes libres" et tous se redressent les bras au ciel. Proclamation paradoxale quand elle se trouve inculquée en chœur à la manière d'un catéchisme.
En parallèle, les interviews d'enfants sont épatantes de raison et de malice, les propos des grands sont graves et réfléchis, la résistance des maîtres (au questionnement) semble à toute épreuve, les commémorations sont paramilitaires... Et de ces chaînes commémoratives fort bien montées même si pas toujours bien cadrées, ressort l'ambivalence de cette "mémoire, béton dont est coulée la société israélienne, dit Eyal Sivan, qui pousse les Israéliens à faire bloc comme un seul homme face au monde extérieur. (...) L'individu n'a aucun droit là-dessus. La Mémoire règle nos comportements collectifs et individuels. _ "Vous vous arrêtez pendant la sirène (commémorant la Shoah)? demande le réalisateur au professeur Leibovitz.
_ Bien sûr ! Me démarquerai-je du public ? Je suis comme eux. Je leur appartiens. C'est un fait. Je ne décide pas d'être comme eux mais je fais partie du public. Je fais partie de ce peuple."
Cinéma direct et contrepoint d'interviews, pour Eyal Sivan il s'agit de saisir à vif et réfléchir in situ ce qui passe (et ne passe pas) aujourd'hui dans ces manifestations sensibles d'un état de mémoire devenu une mémoire d'Etat.