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Retour sur la Route 181 by Geneviève Welcomme (La Croix)

29.06.2004

«Route 181» exprime le regard commun de deux cinéastes, un Israélien et un Palestinien, qui traversent leur pays déchiré et refusent de croire en la fatalité de la guerre. Objet de polémique, le film n’en reste pas moins un travail sensible, riche et, quoiqu’on en dise, davantage porteur de paix que de discorde

ROUTE 181, FRAGMENTS D’UN VOYAGE EN PALESTINE-ISRAËL
de Eyal Sivan et Michel Khleifi

 Réalisé conjointement par un cinéaste palestinien, Michel Khleifi, et un cinéaste israélien, Eyal Sivan, on pourrait croire ce documentaire à l’abri des polémiques. Ce n’est pas le cas. Sa projection en mars 2004 dans le cadre du festival Cinéma du réel au centre Georges Pompidou à Paris, fut perturbée (le ministère de la culture demanda alors aux organisateurs de ne prévoir qu’une seule séance de projection au motif que le film risquait de troubler l’ordre public), soulignant ainsi la désapprobation de nombreuses personnalités qui s’étaient déjà manifestées lors de la diffusion de l’œuvre sur la chaîne de télévision Arte en novembre dernier.

Deux reproches sont faits au travail de Michel Khleifi et Eyal Sivan. Le premier, à la fois artistique et politique, porte sur ce qui paraît être une «citation» du film de Claude Lanzmann, Shoah. Dans son documentaire, Claude Lanzmann laisse longuement s’exprimer un coiffeur qui raconte ce que fut le nazisme tout en coupant les cheveux d’un client... Une scène de ce type figure dans "Route 181", à la différence qu’ici, le coiffeur parle de l’expulsion et de l’élimination de Palestiniens vivant dans la ville de Lod avant l’arrivée des juifs. C’est ce parallèle qui est contesté. L’autre reproche, essentiellement politique, porte sur le projet même que semblent défendre les deux cinéastes : la paix par l’avènement d’un État laïc binational où tous les citoyens bénéficieraient des mêmes droits.

 

Les situations les plus inextricables ne sont pas les plus désespérées

Objet de polémique, "Route 181" n’en reste pas moins un travail sensible, riche et, quoiqu’on en dise, davantage porteur de paix que de discorde. Les deux cinéastes ont filmé la traversée de leur pays le long d’une ligne virtuelle qui correspond à la frontière que l’ONU avait imaginée et décrite en novembre 1947 dans sa «résolution 181» alors qu’il était question de partition.

Ce road-movie, à la manière d’un Robert Kramer filmant les États-Unis en les parcourant après des années d’absence (Road One, 1989), est en soi une méthode facile et structurante : la route sert de fil, il suffit d’avancer, du sud au nord, en filmant les personnes au gré des rencontres et des événements. Mais ici, le procédé dépasse la simple commodité pour s’imposer comme une métaphore. La route qui, d’ordinaire, porte en elle son propre univers ; la route censée mener d’un point à un autre, ressemble moins à une ligne tracée d’une main sûre qu’à une infinité de points dissemblables et juxtaposés. À la manière de la voie lactée qui dessine sa voûte claire et univoque dans le ciel d’été mais est, en réalité, constituée de milliards d’étoiles.

Ainsi est la route, parcourant une terre – Palestine-Israël – dont la topographie mentale est d’une infinie complexité ; ainsi se fera-t-elle peu à peu : dans l’écoute de tous les habitants. Utopie ? La part la plus intéressante de ce travail de terrain, où s’expriment villageois arabes, jeunes soldats israéliens, réfugiés des pogroms..., est précisément dans son ancrage réaliste. On y comprend que les situations les plus inextricables ne sont pas les plus désespérées. Et que le manichéisme des discours politiques est parfois plus désespérant que la réalité elle-même. Route 181 veut mener à la paix. Et comme souvent, ce sont les femmes qui en parlent le mieux. Ces mères juives et palestiniennes qui voient mourir leurs fils dans un conflit devenu habitude ; ces mères dont le chagrin marque le film d’une empreinte infiniment douloureuse.
 
Geneviève WELCOMME
  ***

 

Un coffret de quatre DVD

Alors qu’il sort en salle aujourd’hui, le film est également disponible en DVD. "Route 181", fragments d’un voyage en Palestine-Israël dure 4 h 30. Il se déroule en trois chapitres successifs : le Sud, de la ville portuaire d’Ashod jusqu’aux frontières de la bande de Gaza. Le centre : de la ville de Lod aux environs de Jérusalem. Le Nord : de Rosh’ A’aiyn, près du mur de séparation à la frontière du Liban. Dans le quatrième DVD, un «bonus» de deux heures propose une rencontre avec les auteurs, une cartographie… Le coffret : 49 €.