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Obscurantisme et censure sur la Route 181 by Antonia Naim
01.03.2004
Le film Route 181. Fragments d'un voyage en Palestine-Israël de Michel Khleifi et Eyal Sivan subit depuis sa sortie des attaques multiples… Tout d’abord de nombreuses protestations et menaces arrivèrent à la chaîne ARTE qui avait diffusé le film en novembre dernier. «Nous avons systématiquement des attaques lors de la diffusion de documentaires ou film sur le conflit israélo-palestinien, ce sont toujours les mêmes personnes, des groupes extrémistes pro israéliens, très bien organisés, avec un réseau sur Internet. Il se sont énormément mobilisés lors de la diffusion du film de Sivan et Klheifi, mais personne n’a porté plainte contre ARTE» nous a expliqué l’attaché de presse d’ARTE.
Dernière en date, et pas des moindres, la scandaleuse censure exercé par le 26e Festival du Cinéma du Réel, festival du documentaire qui a lieu du 5 au 14 mars, au Centre Georges Pompidou à Paris. En invoquant d’éventuels «troubles de l'ordre public» ou rappelant «la vive émotion, notamment chez tous ceux qui s'alarment de la montée des propos et actes antisémites ou judéophobes en France», le ministère de la Culture, le Centre Georges Pompidou et la Bibliothèque publique d'information (BPI) ont annulé la deuxième projection du documentaire, programmé hors compétition le 11 et le 14 mars, en clôture du festival.
Les deux cinéastes Michel Khleifi et Eyal Sivan ont affirmé dans un communiqué qu’il s’agit là «d'un grand pas vers le rétablissement de la censure et d'un encouragement aux extrémistes. (…) Céder aux pressions, se plier aux exigences sectaires n’est pas de nature à apaiser les esprits ni à favoriser les conditions d’un véritable débat».
La presse a largement dénoncé l’inadmissible censure exercé sur le film, l’ADDOC (Association des cinéastes documentaristes) a de son côté manifesté sa «stupéfaction» et dénoncé les accusations «infamantes» portées contre les cinéastes. Elle a demandé qu’on respecte le droit de pouvoir voir le film pour «se forger soi-même un jugement».
Les auteurs de Route 181 ont demandé au centre Pompidou de revenir sur cette décision. «Nous sommes tout aussi concernés que nos détracteurs anonymes par les violences antijuives et les actes racistes en France. Personne, face à ce phénomène, n'a le monopole de l'inquiétude, pas plus que celui de l'attachement à la justice et à la paix, comme le montre notre travail cinématographique depuis plus de vingt ans. (...) Cette décision honteuse est très grave. Elle signe l'incapacité d'une institution culturelle d'Etat à assurer le bond déroulement de la projection d'un film et du programme d'un festival» ont-ils déclaré au quotidien Libération qui vient de publier la liste des premières signataires d’une pétition de soutien au film, dont Jean-Luc Godard, Pierre Vidal-Nacquet, Etienne Balibar, Russel Banks, Randa Chahal Sabbag, Tzvetan Todorov, Frank Eskenazi, Julie Bertucelli, François Maspero, Claire Simon, Hubert Nyssen…
Eyal Sivan a déjà subi de nombreuses attaques allant jusqu’aux menaces de mort. En mars 2003, il avait porté plainte après avoir reçu un colis contenant une balle de 22 mm accompagné du mot: «La prochaine n'arrivera pas par la poste». Fin novembre, le «philosophe» Alain Finkielkraut dans son émission Qui vive, diffusée sur RCJ, avait qualifié le film Route 181 d'«appel au meurtre» et accusé Eyal Sivan d'être "l'un des acteurs de l'antisémitisme juif qui sévit aujourd'hui".
Le cinéaste avait encore une fois déposé plainte pour diffamation contre X suite aux déclarations du philosophe.
La censure s’est, de tout temps, attaqué au cinéma, depuis le code moral hollywoodien jusqu’à ces avatars les plus récents par menaces anonymes interposées. On se souvient du film Théorème de Pier Paolo Pasolini, censuré en 1969. Ou, en France, des interdictions contre les films sur la guerre d’Algérie (les fictions depuis Le Petit Soldat de Godard jusqu’à Avoir vingt ans dans les Aurès, et de nombreux documentaires). Les États ont toujours eu besoin de cacher leurs crimes. Et la dépossession du langage vise à empêcher les êtres humains de s’imposer comme sujets…
Mais le Centre Pompidou et le très institutionnel Cinéma du Réel devaient-ils procéder à cette amputation d’une part de réalité?
Ces dernières semaines, le magazine Les Inrockuptibles lançait une pétition dénonçant «La guerre contre l’intelligence», le climat que fait régner le genre de pratiques à quoi s’adonnent des institutions culturelles prestigieuses laisse mal augurer de l’avenir.
Céder au terrorisme anonyme, c’est permettre à l’obscurantisme de relever sa tête immonde de bête dont le ventre est encore fécond…
Antonia Naim