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Shoah politique et cinématographique by Menahem Macina (Debriefing.org)
25.11.2003
Au nombre des personnages ubuesques qui faisaient tache, interviewés dans le documentaire-fleuve de Eyal Sivan, "Route 181" (co-réalisé avec Michel Khleifi, documentaire, vidéo, 272 minutes, 2003), diffusé sur Arte, le 24 novembre 2003, figurait une Marocaine, au discours incohérent, sur lequel je reviendrai à la fin de cet éditorial. Je me contenterai, à ce stade, de préciser que la logorrhée de cette dame avait la particularité d’être émaillée, à tout bout de champ, des trois mots hébreux d’une expression israélienne très courante : haval ‘al-hazman – qui signifie littéralement : "Dommage pour le temps [perdu]". Elle s’emploie également pour signifier à un interlocuteur que toute réponse ou tout commentaire sur ce qu’il vient de dire ne servirait à rien. Et comme la victime de ce hoquet sémantique tenace était la dernière personne interviewée et que les trois mots de son leitmotiv étaient presque les derniers du film, les deux sens de l’expression se sont imposés à mon esprit comme traduisant exactement mes sentiments. Au premier sens : en éteignant mon téléviseur, après ces quatre heures trente d’un procès ennuyeux à mourir à propos d’un dossier d’accusation pratiquement vide, j’avais le sentiment d’avoir perdu mon temps. Au second sens : entreprendre de démonter le pamphlet anti-israélien de ce navet, m’apparaît comme un effort inutile, tant je suis persuadé qu’un nombre considérable de gens prendront pour argent comptant les grossières manipulations d’une propagande qui cache à peine sa nudité hideuse.
Et pourtant, je fais cet effort, parce que je crois qu’il faut porter témoignage, même s’il a peu de chances d’être reçu, car ce qui compte, ce n’est pas l’appréciation de l’audience mais la défense de la vérité.
Il n’est pas possible de passer en revue tous les détails d’un pseudo-reportage de cette durée. Je me contenterai donc, dans cet éditorial, de mettre brièvement en lumière les incohérences et les grosses ficelles de ce document, dont l’outrance et les manipulations grossières s’apparentent davantage aux méthodes des films de propagande politique qu’à celles d’un reportage, même orienté.
Globalement, il faut considérer comme une performance rare l’exploit qui consiste à avoir interviewé une telle brochette de personnages, aussi peu représentatifs qu’il est possible, des deux groupes humains qui se disputent la terre d’Israël. Certains d’entre eux semblent sortis tout droit de la Cour des Miracles du roman de Victor Hugo, Notre Dame de Paris.
Difficile également de ne pas remarquer la prédilection des réalisateurs pour les vieillards sionistes agressifs et hypocondriaques, les habitués de propos de café du Commerce, les démoralisés et les éternels insatisfaits – à la fois repoussoirs du peuple qu’ils sont censés représenter et faire-valoir des thèses anti-Etat juif des réalisateurs.
Avec de tels ’pigeons’, ces derniers n’avaient pas besoin d’être des champions de tir pour faire mouche presque à chaque fois. Et de fait, certains propos anti-Palestiniens, et anti-Arabes, éructés par des gens du commun rendus agressifs, voire grossiers, par la rancœur et la peur qu’engendrent les massacres terroristes, étaient complaisamment enregistrés dans le but évident de convaincre le téléspectateur que TOUS les Israéliens sont des fascistes et des arabophobes.
Il y eut même des moments de pures délices (pour les réalisateurs, s’entend). Par exemple, quand, ayant eu la bonne fortune de détecter des partisans de la manière forte et du transfert des Palestiniens (il en existe, bien sûr), Eyal Sivan les amenait machiavéliquement à en dire plus qu’ils ne l’eussent fait s’ils avaient été sur leurs gardes.
Même tactique avec les découragés du pays. Avec eux, aucun effort particulier n’est nécessaire. Habilement choisis parmi les laissés pour compte, célibataires, isolés, ou losers psychotiques, ils se vident de leurs frustrations paranoïdes à la seule vue d’un micro et d’interlocuteurs non encore lassés d’eux, contrairement à leur famille ou à leurs voisins. Et nos réalisateurs ne se sont pas privés de telles aubaines.
Curieusement, ils n’ont pas jugé bon d’interviewer quelques ’monsieur’, ou ’madame tout le monde’ israéliens : employé de bureau, commerçant, enseignant, étudiant, sportif, ni trop jeunes, ni trop vieux, ni kibboutzniks, ni pionniers, ni anciens du Palmach, etc.
Je ne surprendrai personne en insistant brièvement sur l’image flatteuse – pour ne pas dire flagorneuse – des Palestiniens, habilement composée par les réalisateurs, par le truchement de prises de vues tendancieuses et d’un droit de parole immodéré. Je me limiterai à deux cas. Un vieux coiffeur palestinien narre les prétendus massacres "effroyables" perpétrés par "les Juifs", et même des viols de femmes palestiniennes dont il prétend avoir été témoin. Une vieille femme se laisse aller à un récit quasi éthylique de meurtres et de sévices, dont le contenu s’apparente davantage à une saga fantasmagorique qu’au récit douloureux d’un témoin oculaire.
Mais le personnage qui est l’objet de l’attention féroce et obsessionnelle de ce film est, sans conteste, celui du soldat. Les réalisateurs observent les militaires et les traquent sans répit. Eyal Sivan va même jusqu’à les provoquer avec une rage que décuple leur retenue exemplaire. Certains de ces affrontements sont insoutenables et l’on sent monter en soi la colère quand cet Israélien, plus cruel et plus déloyal que les pires ennemis d’Israël, en humilie d’autres dont le seul tort est de servir dans l’armée et d’exécuter les ordres. Seule consolation – mais elle n’est pas mince -, en dépit de toutes leurs manœuvres déloyales et provocatrices, et malgré le désir qu’ils en ont, les réalisateurs ne réussissent pas à faire sortir les soldats de leurs gonds, ni à leur faire commettre la moindre bavure. Ils font même chou blanc quand, postés en retrait comme des araignées dans leur toile, ils filment minutieusement la tentative d’un Palestinien pour franchir un barrage en voiture afin de conduire sa mère souffrante à l’hôpital. Après inspection du véhicule, vérification téléphonique, et brève apparition d’un véhicule de patrouille dont l’un des occupants semble être chargé de contrôler la véracité du malaise de la femme, le passage est accordé dans un délai relativement court. A la grande déception de nos inquisiteurs qui quittent les lieux sans la précieuse prise de vues que, visiblement ils espéraient : celle de soldats cruels immobilisant des heures durant, sans état d’âme ni motif valable, un malade palestinien, dont ils auront peut-être causé ou accéléré la mort.
J’ai parlé de l’instrumentalisation des personnes au bénéfice de cette opération machiavélique de discrédit de l’Etat israélien et de sa population, mais les objets inanimés eux-mêmes sont mis à contribution. A deux ou trois reprises, la caméra fait un zoom complaisant sur des affichettes, apposées là par on ne sait qui, et qui portent des slogans rageurs, dans le style : "A mort, les Arabes !", ou : "Déportez les Palestiniens", dont le texte est dûment traduit en français sur toute la largeur de l’écran, afin que nul n’ignore. On regrettera qu’une attention au moins aussi scrupuleuse n’ait pas été apportée par les réalisateurs aux centaines d’affiches et de graffiti anti-Israéliens, haineux et obscènes, qui s’étalent sur presque tous les murs des agglomérations palestiniennes.
Quelques petits bonheurs, par ci par là… Par exemple, quand un vieil arabe avoue tout naturellement que les Palestiniens ont fui (à l’instigation des pays ’frères’ arabes) sans la moindre évocation d’une contrainte israélienne, si souvent affirmée par la propagande.
Ou encore, quand un propriétaire terrien palestinien raconte, avec force détails, comment les Jordaniens ont peint les limites de la frontière de 1948, dont le tracé séparait sa ferme de ses champs (c’est drôle, cela rappelle des problèmes analogues qui découlent de la construction de la barrière de sécurité israélienne !). Et notre Palestinien de raconter comment, une fois les inspecteurs partis, il déplaça les bornes en question de manière à ce qu’elles englobent ses champs, sans que les inspecteurs s’aperçoivent de quoi que ce soit. Précisons que les champs et la propriété de cet homme – où se déroule précisément l’interview – se trouvent en territoire israélien et que notre homme est un Arabe israélien. Question : Pourquoi a-t-il choisi, en 48 le côté israélien et non le jordanien ? En tout état de cause - cerise sur le gâteau -, le Palestinien, hilare, se vante devant la caméra d’Eyal Sivan d’avoir agrandi l’Etat d’Israël de quelques hectares !
Et puisqu’il faut bien finir ce compte rendu sommaire, je reviens, comme promis, à la dernière personne interviewée, la Marocaine au haval ‘al-hazman du début de cet éditorial. Et je vous livre, à titre d’échantillon, l’un des propos invraisemblables dont ces interviewes sont émaillées. Regrettant bruyamment d’avoir quitté le Maroc pour ce pays où l’on est si malheureux, et vipéreusement interrogée par Eyal Sivan sur le traitement, pas toujours sympathique, réservé aux Juifs dans les pays arabes, la dame nie cela vigoureusement. Les Juifs, affirme-t-elle hautement, n’ont jamais eu de problèmes avec les Arabes, ils vivaient ensemble comme des frères… Et à un Eyal Sivan, toujours aussi goguenard et provocateur, qui lui rappelle que le sort des Juifs en dehors d’Israël n’a guère été enviable surtout à cause des persécutions d’Hitler, notre étourdie affirme, avec chaleur, que les Marocains ont caché les Juifs pour qu’ils échappent aux Nazis (qui, comme chacun sait, n’ont pas occupé le Maroc, fort heureusement…).
Bref, si ce document méritait un prix, ce serait celui de la propagande.
Il me reste un doute, que j’exprime ici, à mes risques et périls. Si l’on est attentif au mode opératoire du film et à sa longueur, il est difficile d’échapper à l’impression que les réalisateurs avaient comme modèle l’oeuvre de Claude Lanzman, "Shoah".
Si c’est le cas, il faut bien convenir que "Route 181" n’a rien à envier à "Shoah"… sur le plan de la durée (4 h 30).
Et si l’on considère le titre du film de Lanzman, il ne fait aucun doute que celui d’Eyal Sivan et de son alter ego palestinien est à la hauteur de ce titre, à deux niveaux :
• Shoah politique pour l’Etat hébreu,
• Shoah artistique pour le Septième Art.
Appendice
Le Jugement de Salomon selon Eyal Sivan
Eyal Sivan, comme vous le savez sans doute, a eu une révélation. Le sens profond du jugement de Salomon lui a été révélé sur fond de théophanie palestinienne. Au cours de ses interviewes, il lui arrive de recourir à sa révélation privée pour prouver à un interlocuteur qu’Israël a volé leur terre aux Palestiniens. Avant de vous faire part de sa géniale exégèse, rappel des faits.
Le jugement de Salomon selon la Bible
Deux femmes habitent dans la même maison et ont toutes deux un nouveau-né. L’une d’elles étouffe son enfant par mégarde en dormant. Elle met alors l’enfant mort sur le sein de l’autre femme et lui dérobe son enfant vivant. S’ensuit la controverse que l’on devine. Les deux femmes recourent au jugement du roi Salomon réputé pour sa sagesse. Celui-ci ordonne que l’on tranche l’enfant en deux, ce qu’accepte la fausse mère, en ajoutant, "comme cela il ne sera ni à toi ni à moi". Alors, relate le récit biblique, la vraie mère s’écria : "S’il te plaît, Monseigneur! Qu’on lui donne l’enfant vivant, qu’on ne le tue pas!" Et Salomon de conclure : "Donnez l’enfant vivant à la première, ne le tuez pas. C’est elle la mère." (1 R 3, 16-27)
Exégèse d’Eyal Sivan :
Les deux femmes ce sont la Palestine et Israël. L’enfant vivant, c’est la terre de Palestine. La vraie mère c’est la Palestine dont Israël revendiquerait l’enfant (la terre) qu’elle a dérobé à Palestine. En 1947, Israël accepte le partage de la Palestine (équivalent du partage de l’enfant), les Palestiniens le refusent. Ils sont donc la vraie mère et l’enfant-Palestine est le leur.
L’ennui pour la parabole d’Eyal Sivan, c’est que les termes de la comparaison sont boiteux et même invraisemblables. Et ce pour une raison bien simple : A l’inverse de la vraie mère qu’ils sont censés représenter, non seulement les Palestiniens n’ont pas dit à l’ONU, à l’instar de la vraie mère du jugement de Salomon : « Qu’on donne à Israël la terre vivante (non divisée en deux) », mais ils ont refusé l’enfant qu’on leur donnait (leur part vivante de ce pays), préférant tenter de tuer l’autre mère (Israël) et lui refuser tout droit sur cette terre.
Menahem Macina