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La volonté du professeur Leibovitz by Annick Peigné-Giuly (Libération)
27.01.1998
“Itgaber”ou le triomphe sur soi : voilà ce que propose Yeshayahou Leibovitz, 90 ans, un des plus grands chercheurs d’Israël, et parmi les plus libres.
"Nous avons gagné la guerre des Six Jour, mais nous avons perdu le septième", avait lancé un jour Yeshayahou Leibovitz avant de demander qu'lsraël "se libère des territoires occupés". Venu en Palestine en 1932, avant même la fondation de l'Etat hébreu, Ie professeur Leibovitz, n'a cessé d'être un homme à part dans son pays, s'élevant contre "la corruption" du peuple juif qui a suivi l'occupation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, dénonçant l'emprise de la religion sur l'Etat d'Israël (alors qu'il est un juif religieux), refusant en 1992 le grand prix d'lsraël.
C'est cet homme à part qu'Eyal Sivan a voulu approcher à nouveau, après en avoir fait l'un des personnages de Izkor, un documentaire réalisé en 1991 sur le mode de transmission de l'histoire des juifs en lsraël. Cette fois-ci ce sont deux films d'une heure trente qui sont entièrement consacrés au remuant professeur de 90 ans, docteur en chimie organique, spécialiste de la religion juive avant de devenir ce philosophe imprécateur, l'un des grands intellectuels d'Israël.
La première partie, diffusée samedi et dimanche soir, est une approche lente de l'homme. Né en 1903 à Riga en Lettonie, il parle, sur des images d'archives de ce qu'était alors la société russe, de la république de Weimar, de Hitler puis de son arrivée en Israël. Mi-professeur Nimbus, mi-Faust, Leibovitz traite de l'homme et de la nature, de l'épistémologie des sciences, pourfend le freudisme, s'en prend aux valeurs universelles... tout en rattrapant sa kippa noire qui lui glisse régulièrement du crâne. Il rigole derrière ses grosses lunettes quand on lui demande si le cerveau pense ("comme si la machine pensait ! !") et reprend le fil de sa lumineuse rhétorique. Entre le moniteur qui distille ses derniers propos et lui qui se regarde pensivement, la photo d'une femme. Et quand on lui demande ce qui est essentiel dans la vie d'un homme, il en passe par un immense silence. Un long moment suspendu à sa réponse : "Je crois que ce qui est essentiel dans la vie d'un homme... c'est sa femme."
Hors de la simplicité de sa petite bibliothèque, le prophète passe de colloques en conférences, secouant les auditoires de ses imprécations contre le "judéo-nazisme" ("Il y a une voie qui mène de la nationalité à la bestialité, c'est la voie que le peuple allemand a suivie, et nous sommes en danger de faire de même", expliquait-il après la guerre des Six Jours). Tout en affirmant : "On ne peut débattre, on ne peut que se battre." Avec une volonté que l'on retrouve exprimée dans le titre de ce film ltgaber, "triompher de soi-même".
Annick PEIGNE-GIULY