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Eyal Sivan and Dany Chek, debat conducted by Bernard Aouaf (Radio Shalom)

26.03.1991

Bernard ABOUAF (R. Shalom):
Bernard Abouaf au micro, et avec nous dans les studios ce soir, Eyal Sivan, le réalisateur du film "IZKOR, Les Esclaves de la Mémoire", qu'on a pu voir hier à la télévision lors de l'émission "Océaniques". Eyal Sivan, bonsoir.
Eyal SIVAN:
Bonsoir.
Bernard ABOUAF (R. Shalom):
Alors avec nous également, Dany Chek, Premier Secrétaire de l'Ambassade d'Israël. Dany Chek, bonsoir. Et avec nous également, Régine Waiche qui est psychologue. Alors ce film parle de la mémoire et plutôt de sa transmission dans la société israélienne de nos Jours. C'est un film israélien, Eyal Sivan, est-il besoin de le préciser ? II est entièrement en hébreu, sous-titré,... En tous cas, lors de cette émission, les auditeurs ont la parole, il suffit de nous appeler au 47 63 00 07 pour pouvoir poser vos questions aux différents intervenants. Alors Je vais commencer avec une première question d'auditeur, Eyal Sivan, une réflexion donc d'un auditeur de Radio Shalom : Comment se fait-il qu'on ait présenté d'une façon si négative un système éducatif Israélien qui est pourtant généralement reconnu dans le monde entier comme un système éducatif très performant, et même présenté comme un exemple ?
Eyal SIVAN:
Oui. "Présenté d'une façon négative", je l'ai représenté de la façon dont je m'en souviens. Je suis retourné en Israël pour tourner le film et j'ai découvert que ce que mol j'ai subi, enfant et élève, existe toujours. "Reconnu dans le monde entier comme un système très efficace", peut-être, je pense qu'Israël est très très exposé dans les médias et en même temps mal connu par les autres. Je pense que j'ai fait une chose, je ne sais pas si elle a déjà été faite, j'ai montré Israël comme on parle d'Israël à l'intérieur, comme on en discute à l'intérieur, la seule chose que j'ai faite c'est que j'ai un petit peu rompu les tabous qui est "On lave le linge sale en famille", c'est tout.
Bernard ABOUAF (R. Shalom):
Dany Chek, vous avez l'impression que l'Israël qu'on nous a présenté hier dans le film d'Eyal Sivan est effectivement l'Israël dont on parle à l'intérieur ?
Dany CHEK:
Non. Je pense que le film est une réflexion extrêmement personnelle. D'ailleurs Eyal Sivan vient de le dire, parce que c'est une expérience personnelle qui a suscité l'idée de faire ce film. Je pense d'ailleurs, et l'on pourra peut-être y revenir plus tard, que c'est une des faiblesses du film, en tant que documentaire. C'est un documentaire personnel d'Eyal Sivan, mais pas forcément une image complète du système éducatif. Et, pire encore, je dirai de tout ce qui suit dans la pensée d'Eyal Sivan et dans la manière avec laquelle elle est présentée dans le film. Le système éducatif, tel qu'il est présenté dans le film, paraît très mono dimensionnel, monolithique, alors qu'il est, et d'ailleurs ça se transmet très bien dans les discussions avec les élèves, beaucoup plus ouvert que ça. Et le produit, les produits plutôt, de ce système éducatif font une société qui est d'une diversité étonnante. Certains Israéliens vous diront "excessive". Donc la conclusion qui semble apparaître entre les lignes du film d'un produit uniforme de ce système éducatif, à mon avis, c'est une image fausse.
Bernard ABOUAF (R. Shalom):
Système éducatif, d'ailleurs. Eyal Sivan. qui n'est pas unique. On ne peut pas seulement parler d'un système d'éducation en Israël ?
Eyal SIVAN:
Non, absolument pas. On pourrait aller filmer, par exemple, le système très libéral et très ouvert dans les écoles religieuses. On pourrait aller filmer les écoles des colons dans les territoires occupés. On pourrait aller filmer dans les écoles de citoyens Israéliens palestiniens, dits arabes Israéliens. On pourrait aller filmer dans les kibboutz. On pourrait filmer beaucoup dans différentes écoles. Moi, je voulais filmer l'école de mon enfance, qui est une école de tendance libérale, plutôt modérée de gauche, à Jérusalem. Et en arrivant dans cette école, j'ai demandé à la directrice de l'école d'accepter et elle a effectivement accepté. On y est retourné, avec l'opérateur, et elle nous a dit qu'elle avait reçu des coups de fil lui disant qu'on ne pourrait pas y tourner, parce que le film voulait traiter du "lavage de cerveau". Je lui al dit "C'est très simple. Tu me laisses filmer, s'il n'y a pas de lavage de cerveau. Et si tu ne me laisses pas filmer, ça veut dire qu'il y a quelque chose à cacher". Je n'ai pas pu filmer dans cette école très libérale. Je suis donc allé dans une école qui est dans un quartier à majorité de juifs orientaux, à côté de l'hôpital Hadassa, à côté de Ein-Karem. Et j'ai tourné là-bas. Je suis allé ensuite au lycée René Cassin, qui est un lycée, encore une fois, de gauche et ouvert. Je n'ai pas vraiment choisi l'école ou le lycée. D'ailleurs, pendant le tournage, tous les gens qui ont travaillé sur le tournage sont israéliens, et on a eu des petits conflits. L'opérateur voulait absolument qu'on tourne dans son école Reali, à Haïfa, il a dit "C'est absolument extraordinaire, parce que les cérémonies se font dans de grands stades. Il faut absolument tourner chez moi". Mon assistante, Amit Breuer, voulait qu'on tourne dans son école. Chacun voulait qu'on tourne dans l'école dans laquelle il avait été. Je voulais seulement dire une petite chose par rapport aux diversités de la société israélienne. En effet, c'est une société, comme l'a dit Alfred Grosser, multiraciale, c'est une société très diverse du point de vue politique. Et, en même temps, c'est une société très obéissante, qui en réalité est à l'intérieur d'un cadre bien strict qui est, ce que j'appellerai "la dictature de la mémoire".
Bernard ABOUAF (R. Shalom):
Alors, les auditeurs ont la parole. Premier appel sur la ligne numéro 1. Bonsoir.
Auditeur 1:
Oui, bonsoir monsieur. Moi je voulais faire des compliments à Eyal Sivan. Parce que c'est un film extraordinaire en ce qui concerne la mémoire. Vraiment on a passé une soirée extraordinaire. Excusez-moi de vous demander si c'est possible d'avoir... où peut-on trouver la cassette de ce film s'il y a lieu, si des fois il y avait des cassettes à acheter ?
Bernard ABOUAF (R. Shalom):
Et bien, Eyal Sivan, la réponse...
Eyal SIVAN:
D'abord, je voudrais vous remercier beaucoup pour cette réaction. Je suis flatté. On espère que très bientôt, le film va sortir en salle sur Paris. Moi je souhaite que beaucoup d'auditeurs écrivent à FR3 pour demander de le rediffuser à une heure où les gens sont encore réveillés. On espère l'éditer très bientôt en cassette, pour qu'il puisse être acheté un petit peu partout.
Auditeur 1:
Oui, parce que au point de vue mémoire, c'est extraordinaire d'avoir des cassettes comme ça. Si vous pouvez réaliser ce projet-là, ça serait extraordinaire, pour nous.
Eyal SIVAN:
Je vous remercie beaucoup monsieur.
Auditeur 1:
Sincèrement, parce qu'en ce qui concerne la mémoire, c'est quelque chose d'extraordinaire. Ça vraiment, on peut le conserver pendant des années pour nos petits-enfants. Vraiment, c'est un film vraiment réussi.
Eyal SIVAN:
Merci.
Bernard ABOUAF (R. Shalom):
Très bien. Eh bien, nouvel appel d'auditeur sur la ligne numéro 2. Oui, bonsoir.
Auditrice 2:
Bonsoir, J'avais plusieurs questions à poser au réalisateur. A la première question, j'ai eu partiellement la réponse parce qu'apparemment c'est un film plutôt subjectif. Si j'ai bien compris. Je comptais lui demander justement, s'il pensait avoir fait preuve d'objectivité en réalisant ce film, Mais je crois que c'est une expérience personnelle, j'ai eu la réponse partiellement…
Eyal SIVAN:
Pardon, je vais vous interrompre une seconde pour répondre tout de suite. Vous avez eu la réponse par Dany Chek. Ma réponse est la suivante, c'est un film absolument subjectif et je crois que toute personne qui vous dira qu'elle fait de l'image d'une façon objective ment.
Auditrice 2:
Certes, donc ce n'est pas un film qu'on pourrait appeler journalistique. C'est un film personnel donc.
Eyal SIVAN:
C'est un film absolument personnel, c'est comme une histoire d'amour.
Auditrice 2:
Très bien. La deuxième question que je voulais vous poser, c'était ce que vous entendez par la "dictature de la mémoire". Parce que j'avoue franchement que je suis un peu abasourdie, dans la mesure où, justement, je crois que le défaut de notre siècle, c'est, plus ou moins, de se libérer de sa mémoire et d'essayer d'oublier le passé, vous critiquez cet aspect du rappel constant de souvenirs qui ont marqué la vie du peuple juif. Vous avez l'air de trouver ça négatif, alors que finalement si vous... Enfin, je voudrai faire un tout petit peu de sémantique avec vous. Vous savez très bien...
Bernard ABOUAF (R. Shalom):
Oui. Excusez-moi mais il va falloir être un tout petit peu bref. Mais c'est avec plaisir...
Auditeur 2:
Vous savez très bien qu'en hébreu, par exemple, le mot "arareï" veut dire "derrière soi", mais que ça veut dire aussi "après". Donc l'avenir est lié au passé. "Lisneï", ça veut dire "devant", mais ça veut dire aussi "avant". Donc ça veut dire qu'on ne peut pas envisager l'avenir d'un peuple, quel qu'il soit. Pour que cet avenir soit vraiment bien construit, en faisant abstraction du passé. Vous critiquez finalement cette façon de faire appel au passé, alors que c'est la base même de la survie du peuple juif.
Bernard ABOUAF (R. Shalom):
Eyal Sivan...
Eyal SIVAN:
D'abord je pense que la mémoire est un garant de la survie de tous peuples et de toutes nations, de toutes sociétés. Je ne me heurte pas à la mémoire en tant que telle, au problème de souvenir. Ça c'est un point très important sur lequel il faut insister. Je parle de l'utilisation de la mémoire, de la justification des actes par la mémoire. Et quand je parle de "dictature de la mémoire", on parle d'une mémoire officielle. Il y a une mémoire, et cette mémoire-là doit nous conduire à certaines choses. Je parle de deux points majeurs ; l'un c'est "le monde entier est contre nous". Dans les années cinquante, il y avait une chanson que je voulais intégrer dans le film, mais je n'ai pas trouvé la place, qui était ("...") qui veut dire "Le monde entier est contre nous", et je vais continuer en hébreu ("...") qui était enseigné par nos ancêtres. Je dis que par rapport au problème de la mémoire, la mémoire doit servir à empêcher des injustices, pour être un phare contre ce qu'il ne faut plus faire. Elle doit être utilisée et enseignée pour améliorer nos actes dans le présent. La dictature de la mémoire en Israël est divisée en deux parties ; l'une c'est que cette mémoire nous conduit à dire "Nous sommes attaqués. Nous avons toujours été attaqués. Donc il faut se défendre", mais en plus on fait un amalgame. "L'Israélien, l'Etat d'Israël, est une continuation de deux mille ans du peuple juif". L'Etat d'Israël est en fait un Etat qui a une histoire de 43 ans, rattachée à un certain héritage. Mais cet héritage n'est pas unilatéral et ça, c'est la seconde partie de cette dictature de la mémoire. Il y a deux héritages culturels en Israël et l'un est dominant. Nous avons l'héritage des juifs occidentaux et l'héritage des arabes juifs ou des juifs d'Orient. De ces deux histoires qui sont différentes, on a privilégié, parce que cette mémoire sert, la mémoire des juifs occidentaux qui est devenue la mémoire officielle.
Bernard ABOUAF (R. Shalom):
Régine Waich, quel est l'avis de la psychologue sur cette nécessité de mémoire collective pour un peuple, pour une nation ?
Régine WAiCHE:
C'est une nécessité vitale. C'est sûr. Disons que là ou nous interpelle le film, c'est dans le fait que cette mémoire est utilisée pour ne pas pardonner. En fin de comptes, c'est surtout ça qui me rend un peu triste. Le fait est qu'il y ait eu une enseignante qui dise "Pas de pardon" et "Le sang appelle la vengeance". C'est quelque chose qui, dans notre peuple, mérite d'être étudié et aussi de comprendre que tant que nous sommes dans cette dynamique qui dit que nous sommes victimes. Parce que, quelque part, nous sommes coupables de l'image que nous avons donnée de nous-mêmes et parce que les peuples ont projeté sur nous tout un tas d'images négatives qui sont tout ce qui ne leur plaît pas, sans doute, en eux, et bien nous devons, nous, en tant que peuple juif, nous libérer de cet aspect que nous sommes victimes, toujours des victimes. Et donc d'avancer sur un chemin plus adulte, c'est-à-dire en tant que responsables, et non plus en tant que victimes.
Bernard ABOUAF (R. Shalom):
Un nouvel appel d'auditeur sur la ligne numéro 3. Bonsoir.
Auditrice 3:
Bonsoir monsieur, bonsoir Eyal Sivan, bonsoir tout le monde. Je me présente, je suis une étudiante faisant son doctorat à Paris et je suis une Israélienne, j'ai vécu en Israël jusqu'à l'âge de 25 ans, il y aurait bien évidemment plusieurs points à traiter sur votre film, mais j'essaierai d'être la plus brève possible. D'abord, sur le plan émotionnel, moi je me suis retrouvée avec les sirènes hier soir dans votre film, je me suis mise carrément debout, automatiquement. Est-ce un lavage de cerveau, suite à ce que j'ai subi sur le plan éducatif en Israël, je ne le pense pas. Ça c'est en ce qui concerne le plan émotionnel. D'autre part, par rapport au Docteur Leibovitz, ce qui m'a frappée énormément dans cette émission, vu bien sûr que l'on connaît ses opinions en Israël, sur lesquelles on peut être d'accord ou ne pas être d'accord, mais le plus fort, avec le Docteur Leibovitz, c'est lorsque vous lui avez posé la question de savoir si lui, il se mettait debout, également, pendant ces sirènes. Il vous a répondu qu'il appartenait à ce peuple et qu'il devait faire comme tout le monde. Donc, je pense qu'on peut vraiment discuter, encore une fois, des opinions du Docteur Leibovitz, à savoir si vraiment... Pour moi, c'est un moraliste. Bien sûr, c'est une certaine prise de conscience de la part d'un israélien vivant dans ce peuple, avec ce qui se passe comme événements, mais également quelqu'un qui n'ignore pas sa patrie et qui n'ignore pas non plus sa responsabilité dans ce peuple. Je pense, après ce que je viens d'écouter, qu'évidemment c'est un film très très subjectif. C'est un film qui traite un point de vue très personnel et je remercie énormément l'auditrice qui venait avant moi et qui avait traité de ce que signifie pour vous la dictature de la mémoire. Est-ce que nous sommes esclaves de notre mémoire? J'aimerais vraiment bien que vous approfondissiez ce point de vue et ce que vous en pensez. D'autre part, la troisième question : c'est tout à fait vrai qu'on apprend, lorsqu'on fait l'histoire pour notre "bakrout", notre bac, on traite beaucoup plus de la Shoah que des autres communautés juives, à savoir les communautés Sépharades, etc. Mais en venant à Paris et, surtout en participant à plusieurs conférences, notamment au Centre Rashi, j'ai appris que les juifs qui vivaient dans les communautés Sépharades, bien que n'ayant pas subi la Shoah, ont également éprouvé d'autres souffrances, d'autres actions de la part des arabes, etc... tous ceux qui les entouraient. Cultiver la mémoire est une question : est-ce utile ? est-ce nécessaire ? Je pense que oui, bien sûr, parce que je pense que si Leibovitz vivait en Occident, notamment en France, ayant vu l'expulsion, à l'époque où Pasqua était au gouvernement, des Maliens, sans aucune raison évidente ni apparente, juste les sept qui n'avaient pas de permis de Séjour, etc. Je pense que beaucoup d'humanistes, que je mets entre guillemets, s'ils vivaient en Occident, auraient peut-être changé d'opinion vite fait, surtout par rapport à Israël. Voilà, je vous remercie.
Eyal SIVAN:
Je vais commencer par le dernier point, parce qu'il me plait beaucoup, parce que je peux, avec lui, expliquer ce que moi je vois comme l'utilisation de la mémoire comme une mémoire analogique. Effectivement, à l'époque de l'expulsion des Maliens de France par Pasqua, je pense que les français juifs devaient se lever contre l'expulsion de ces Maliens. En France, à cause de leur mémoire, de la même façon qu'ils devaient se lever contre l'expulsion des Palestiniens des territoires occupés, à cause et grâce à leur mémoire. C'est de ça dont je parle quand je parle de mémoire analogique. C'est une mémoire qui sert à regarder l'avenir, au lieu d'aller chercher, et ce que je serai le dernier à dire que ça n'a pas existé, les répressions de juifs en Orient comme en Occident. Ça a existé effectivement, quand j'ai parlé de la mémoire des juifs orientaux et de la mémoire des juifs occidentaux. Je pense que les rapports en Orient étaient différents des rapports Islam-Judaïsme, des rapports chrétiens-juifs. Et en ça, par rapport à cette dictature de la mémoire ou mémoire officielle, je pourrai peut-être développer cette idée plus loin dans l'émission, l'utilité de la mémoire. Le film qui traite de la mémoire, ne parle pas de l'oubli. Ce n'est pas oublier ce que nous avons subi, c'est dire "Ce que nous avons subi nous montre ce qu'il ne faut pas faire subir aux autres". C'est la mémoire au service de l'homme. L'homme en général et l'homme juif plus spécifiquement, si je peux citer le Professeur Leibovitz. Et je vais revenir sur la subjectivité. On parle comme ça "Voilà, vous avez fait un film subjectif. Donc on le laisse de côté, passons aux films objectifs." Je le répète encore : je ne crois pas à l'existence de films ou d'images objectives. Un cadre est un cadre, on le coupe à droite, on le coupe à gauche, on fait un montage sonore. Et je peux vous donner une dizaine d'explications de la manipulation de l'image. Je le dis : l'image a été tournée par un certain œil, qui est l'œil de Rony Katzenelson et Eyal Sivan ; elle a été montée par certaines mains, qui sont les mains de Jacques Comets, Sylvie Pontoiseau et Eyal Sivan. Donc le film est complètement subjectif, comme tout film d'ailleurs.
Bernard ABOUAF (R Shalom):
Dany Chek...
Dany CHEK:
J'ai plusieurs points, mais je vais commencer par le point avec lequel Eyal Sivan a terminé sur la subjectivité. Il est tout à fait évident qu'il n'y a pas d'œuvre d'art, qu'elle soit cinématographique ou autre, qui soit objective.
Bernard ABOUAF (R. Shalom):
Ou même journalistique...
Dany CHEK:
Ou même journalistique évidemment. Seulement, il faut quand même dire plusieurs choses, c'est qu'au-delà du choix d'un plan ou de la coupure d'une scène, il y a par exemple le choix de mettre Yeshayahou Leibovitz comme seul porte-parole intellectuel du film, c'est-à-dire que c'est lui qui donne la thèse. Et puis les autres images sont là pour tenter de prouver que cette thèse est véridique et qu'elle reflète la vérité. Or il y a deux problèmes. Le premier c'est que je trouve un peu injuste de mettre face à Yeshayahou Leibovitz des enfants de 13 ans, et on aurait pu facilement trouver un autre intellectuel israélien qui ait un point de vue différent, qui ne devrait pas forcément discuter avec Yeshayahou Leibovitz ou le contester. Mais, du moins, donner un point de vue différent. Et nous savons peut-être autour de cette table qui est Yeshayahou Leibovitz et quel est son statut en Israël. C'est quelqu'un de vénéré, de très très respecté, mais qui exprime quand même des opinions qui sont marginales. Il est peut-être marginal par ses opinions, mais pas par la diffusion de ses opinions. C'est quelqu'un qui passe assez souvent à la télévision israélienne, et qui, comme l'a dit une des institutrice de l'école, vient donner des conférences à l'école. Et, je l'ai mentionné à Bernard Abouaf, moi, dans les quelques mois de formation, de stages, au ministère des affaires étrangères, j'ai eu l'occasion de discuter pendant une demi-journée avec Yeshayahou Leibovitz. Il est un pilier de la réalité israélienne, mais il ne reflète pas une opinion très large et, sur certains points, c'est peut-être sa force. Alors le choix de donner la parole uniquement à Yeshayahou Leibovitz donne une subjectivité un peu excessive à mon goût. Deuxièmement, et c'est là un sentiment personnel en tant que spectateur, j'avais constamment le sentiment qu'il y avait un décalage entre la thèse, qui est née avant le film, et les images. Parce que c'est à partir d'une thèse que vous avez fait le film. Une thèse qui était prononcée de façon très éloquente par Yeshayahou Leibovitz avec le reste du film. C'est-à-dire que vous vous êtes efforcé de montrer que la réalité démontre ce que dit Yeshayahou Leibovitz. Alors que souvent j'avais l'impression que la réalité que vous avez filmée démontrait justement le contraire.
Eyal SIVAN:
Dans ce cas-là, je ne comprends pas où est le problème, c'est très très bien si la réalité est un contrepoint pour Leibovitz. Est-ce que j'aurai eu besoin d'amener un représentant de chacun des douze partis du Parlement israélien, chacun pour donner son opinion ? Il y a une réalité et il y a Leibovitz le marginal. La réalité, apparemment, répond très bien à Leibovitz. Par rapport au point des enfants, je ne suis pas du tout d'accord, je pense que Oshik Ohana, l'enfant, a une force, pour moi, du point de vue émotionnel, de même pour les spectateurs avec lesquels j'ai vu le film, qui est du niveau du Professeur Leibovitz, si ce n'est plus. S'il y a un exemple d'une mémoire analogique, si quelqu'un arrive à se défendre d'une façon magnifique face au matraquage de l'éducation d'un côté, et de l'autre côté face à l'intellectualisation du Professeur Leibovitz. c'est Oshik Ohana lui-même. Ou même Eran, à un moment qui laisse ses contradictions ouvertes à l'écran... Vous allez me dire que c'est moi qui est laissé tourner, alors là, je vais répondre que ce sont les accords moraux entre le réalisateur et ses acteurs. Eran a accepté que ce passage, dans lequel il demande "Coupez, coupez" ou il se contredit complètement, soit montré. Par rapport à Leibovitz, c'est un film subjectif, c'est une œuvre subjective. Je suis, comme dit Dita ("...") "je suis trop petit pour écrire un commentaire tellement bien, tellement intelligent, tellement beau à exprimer comme le fait le Professeur Leibovitz", donc, effectivement, j'ai utilisé le Professeur Leibovitz comme commentaire. Et je vais répondre à la dernière auditrice, par rapport à la sirène, moi aussi je me lève et je me mets au garde à vous pendant les sirènes. La parole de Leibovitz qui dit "Je fais partie de ce public, je fais partie de ce public, je fais partie de ce peuple" Eyal Sivan pourrait le dire aussi. Dans ce cas-là, c'est une citation du Professeur Leibovitz, mais je l'aurai dit même avant le film, si quelqu'un me l'avait demandé. Par rapport à la réalité qui montre le contraire, je peux vous dire plus que ça. Il y a des gens qui ont réagi en disant "Même Leibovitz dit le contraire". Il y a une lecture au premier degré de certaines personnes qui m'ont dit "Leibovitz dit qu'on peut tuer des Arabes dans les camps de réfugiés parce que nous avons subi cela". C'est aussi une lecture possible, chacun peut lire le film comme il veut, c'est ça son objectivité.
Dany CHEK:
Oui, mais ça affaiblit un peu la thèse de la dictature de la mémoire dans le système éducatif israélien, parce que Oshik et Eran sont pourtant les produits du même système éducatif. Vous ne les avez pas cherchés à la loupe dans tout le pays, ils font partie... justement c'est ce que je dis, il n'y a pas de dictature. Et même s'il y a une dictature comme vous le dites, et bien elle ne marche pas très bien. Parce que si, comme le dit l'institutrice, c'est un peu simpliste de dire que des élèves rentrent dans une école comme des robots ou des machines qu'on forme à son gré et ressortent en tant que produits uniformes, "dociles", comme vous le dites, et qui seront de bons citoyens ou de bons soldats, qui ne contesteront jamais, après, avec leurs opinions personnelles, ce que le gouvernement ou l'armée leur dit... Et bien c'est faux, parce que même un enfant de 13 ans qui dit pourtant "Oui, il faut conserver la mémoire de Shoah et c'est bien d'apprendre sur la Shoah", sa conclusion n'est pas celle que vous essayez de faire dire à certains autres élèves, ce n'est pas "Oui, cela me donne le droit de tuer des arabes dans les territoires" au contraire. Sa conclusion c'est que "Oui, les arabes ont droit à la liberté, comme moi" et d'autres diront "Non, les arabes n'ont pas droit à la liberté comme moi". C'est-à-dire qu'il y a un produit très diversifié qui sort de ces écoles. Et il n'y a pas de dictature.
Eyal SIVAN:
Une seconde, avant de donner la parole aux auditeurs, parce que j'aimerais entendre les réactions. J'espère que Monsieur Dany Chek et moi-même, ensemble, on va soutenir Oshik et qu'il va continuer jusqu'à l'âge adulte dans la même voie de pensée. Oshik a 13 ans. Il a dit ce qu'il a dit dans le film ; Keren a 14 ans et dit déjà des choses différentes et Eran a 17 ans et dit des choses complètement différentes. Eran, au mois de septembre, ira à l'armée. Espérons que dans 4 ans, quand Oshik ira à l'armée, il se défendra face à cette dictature de la mémoire de la même manière qu'il se défend face à la caméra et qu'il dira à ces officiers la même chose qu'il m'a dit à moi : "Non, je n'irai pas dans les territoires occupés, je veux être cuisinier ou infirmier". Attendons. On ne sait pas. Je pense que tous les deux, on donne un grand crédit à Oshik de sortir.
Dany CHEK:
Pour des raisons différentes...
Eyal SIVAN:
Pour des raisons différentes. Mais, en même temps, on lui donne un grand crédit pour qu'il sorte un petit peu et continue à se défendre, comme moi-même je l'ai fait.
Bernard ABOUAF (R. Shalom):
Eyal Sivan, Régine Waiche, Dany Chek, on se retrouve dans quelques instants.
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Bernard ABOUAF (R. Shalom):
 Avec nous dans les studios, Eyal Sivan, le réalisateur du film "IZKOR, Les Esclaves de la Mémoire", film qu'on a pu voir hier à la télévision dans l'émission "Océaniques". Avec nous également Régine Waiche, qui est psychologue et Dany Chek qui est le Premier Secrétaire de l'Ambassade d'Israël. Je vous le disais à l'instant, vous avez la parole, 47 63 00 07, un nouvel appel d'auditeur. C'est sur la ligne 5. Bonsoir.
Auditeur 5:
Oui bonsoir monsieur. Je voudrais dire à Eyal Sivan, vous m'effarez, Monsieur, quand je vous entends dire que le Professeur Leibovitz vient souvent dans les écoles. Je ne connaissais pas le Professeur Leibovitz de visu, je ne l'avais jamais vu et ce qu'il y a c'est que, personnellement, je le trouve légèrement sénile... Si vous me permettez, j'ai lu hier le journal Le Figaro, le 25, hier, l'article dans lequel il dit qu'Israël court à sa perte s'il célèbre toutes ces fêtes. Je saute et je vois autre chose "On apprend aux jeunes Israéliens à être de bons soldats et non d'honnêtes hommes, d'honnêtes gens", hein, c'est vraiment très moche. D'autre part "On pervertit la jeunesse de ce pays", on assimile le sionisme au nazisme, monsieur Leibovitz y va fort, hein ?… Monsieur Leibovitz ajoute "Il est une voie qui mène de l'humanité à la bestialité, via le nationalisme, le peuple allemand est allé jusqu'au bout", autre chose encore. Ça c'est un article signé d'Emmanuel Schwartzenberg. Cela dit, le film, je l'ai trouvé bien et j'ai découvert monsieur Leibovitz, c'est un vieux monsieur sénile, excusez-moi ! Alors, comme a dit votre correspondant à la radio, on aurait dû à ce moment-là, avoir d'autres avis et non pas que lui, parce que pour moi, c'est un monsieur sénile. Voilà ce que j'ai à dire ! C'est quand même lamentable d'entendre toutes ces choses... Sur le nazisme, etc, etc... Et encore je ne peux pas vous lire tout l'article. D'abord j'étais outrée quand j'ai lu cet article... C'est vrai que le film ne correspond pas complètement tout à fait, mais ce monsieur Leibovitz. je l'ai découvert et dans les écoles, croyez-moi, il doit faire quelque chose.
Bernard ABOUAF (R. Shalom):
Eyal Sivan, votre avis. Merci madame.
Eyal SIVAN:
Par rapport à l'article publié dans Le Figaro, c'est la seule mauvaise critique que le film ait eu jusqu'à maintenant, très virulent. D'abord, que Le Figaro me critique mal, ça ne peut être qu'un plaisir. Deuxièmement, cet article est bourré de fautes. D'ailleurs il est signé par quelqu'un que je ne connais pas. Mais s'il nous écoute je pourrai lui dire que Yom Kippour n'est pas le Jour de Commémoration de la Shoah, comme il l'a écrit, Yom Kippour est le jour du Grand Pardon, donc moi à Yom Kippour je lui pardonne, même s'il m'a accusé de révisionnisme. Par rapport au Professeur Leibovitz le sénile, il faut le demander à son médecin, mais moi ça me rappelle une petite phrase qui dit : "Une pendule qui ne marche pas a raison deux fois par jour".
Bernard ABOUAF (R. Shalom):
Régine Waiche, alors on va retourner au point de vue du psychologue et à la difficulté de maintenir une mémoire. Parce que j'ai l'impression que c'est ici tout le débat. Comment maintenir une mémoire sans arriver alors à.... Eyal Sivan nous parle de matraquage. Dany Chek nous parle de nécessité... D'ailleurs ce serait intéressant à savoir si Eyal Sivan ne considère pas que, malgré tout, il y a quand même une nécessité, vous avez l'impression que c'est trop. Eyal Sivan, vous avez l'impression que...
Eyal SIVAN:
Je parle d'excès de mémoire, ou plutôt je cite Alfred Grosser qui a parlé d'"excès de mémoire" et de "mauvaise utilisation de la mémoire". Moi je pense que la mémoire est une nécessité en Israël, en Occident, en Orient, chez les Américains. Je pense que la mémoire est effectivement une nécessité, je pense que les Français doivent parler de leur mémoire. La guerre d'Algérie, la collaboration. Il faut absolument parler, il faut en tenir compte. Les Américains doivent parler de leur horrible intervention impérialiste un petit peu partout dans le monde et de leur acte premier d'injustice envers les Indiens. Je pourrais continuer sans cesse, crime et mémoire ce sont deux choses qui vont ensemble.
Bernard ABOUAF (R. Shalom):
Régine Waiche...
Régine WAICHE:
Je pense qu'il faudrait un peu pondérer tout l'aspect très passionnel à propos du Professeur Leibovitz. Moi je le vois plutôt comme un aide-mémoire. Justement, cet homme-là, avec toute la souffrance du peuple juif qui parle en lui, remet en cause notre conscience. C'est-à-dire la conscience que nous avons, nous, peuple juif d'être aussi, quelque part, une lumière pour les nations. C'est vrai que, de par notre histoire, nous avons beaucoup subi de choses qui ont fait de nous des martyrs, des victimes plus qu'occasionnelles. Mais, lui, ce que j'ai cru comprendre dans son discours, c'est "Peut-on, par cette expérience, par ce cheminement, qui nous a amené jusqu'à l'Etat d'Israël, utiliser cette conscience de victime pour devenir, à son tour, oppresseur ?" Je crois que ça n'est pas à prendre au pied de la lettre. C'est simplement, à mon sens, plutôt le fait d'éveiller la conscience des Israéliens, des juifs en général. Parce que moi, en tant que juive, je me suis sentie très interpellée par son discours. Et regarder en nous-mêmes aussi quel est la révolte que génère en nous tout ce qui se passe à l'extérieur, tout ce que nous avons subi et qui fait que nous vivons comme rebelles à cette conscience de victimes.
Bernard ABOUAF (R. Shalom):
Eyal Sivan, on va revenir sur les propos du Professeur Leibovitz. Est-ce qu'il n'y a pas quelque chose qui vous dérange, malgré tout dans le fait qu'il faille parler de la mémoire, il faut parler du nazisme et des conséquences que ça peut avoir pour aujourd'hui ? C'est également le sens d'ailleurs de la fête de Pessah qu'on aura demain. En quoi la mémoire peut être quelque chose d'actuel ? Ça ne vous dérange pas que Leibovitz puisse dire qu'on est sur le même chemin que les Allemands d'avant le nazisme ?
Eyal SIVAN:
Je vais reprendre la citation du professeur Leibovitz. Leibovitz cite Franz Grillparzer, un poète et écrivain du XIX ème siècle, qui, à l'époque du Printemps des Peuples, a dit "Il y a un chemin qui mène de l'humanité, par la nationalité érigée en programme, donc le nationalisme, à la bestialité. C'est le chemin sur lequel le peuple allemand a marché jusqu'au bout et c'est le chemin que nous avons emprunté depuis la Guerre des Six Jours". On a emprunté ce chemin, donc il parle de l'occupation.
Bernard ABOUAF (R. Shalom):
Il dit "C'est le chemin sur lequel nous nous trouvons depuis 1973"
Eyal SIVAN:
"On a emprunté ce chemin", on peut redescendre ce chemin. Je crois que Leibovitz est allé beaucoup plus loin déjà dans ses propos. Si on revient au Professeur Leibovitz en 1982, pendant l'invasion israélienne au Liban, une phrase qui a suivi le massacre de Sabra et Chatila, le Professeur Leibovitz a dit "Ça c'est du judéo-nazisme". Là Leibovitz est allé beaucoup plus loin que la phrase qu'il dit dans le film, et Monsieur Dany Chek et moi-même, on connaît beaucoup de phrases très très provocatrices du Professeur Leibovitz et je pensais à ceux qui auront l'opportunité de lire le seul livre qui soit édité en français. L'amalgame que le Professeur Leibovitz fait entre la société allemande et la société israélienne, je ne peux qu'en donner un petit exemple démagogique, mais qui est pour moi révélateur : En arrivant en Israël, il y a deux ans, ma mère habite dans un quartier face à un village palestinien, au nord de Jérusalem. Et pendant qu'on était assis à table, il y avait des tirs, des gaz lacrymogènes, des tirs de balles, soi-disant en caoutchouc, etc. A ce moment-là, ma mère est allé fermer les volets de la maison pour se protéger des gaz. Moi je suis sorti pour aller au village en face, parce que j'y ai des amis. Ça, c'est les réactions que certaines personnes ont eues, par exemple dans le film "Shoah" de Claude Lanzmann. si on prend les paysans polonais. Ce schéma que la société israélienne a emprunté et le schéma d'obéissance totale qu'ont emprunté les soldats israéliens pendant la répression dans les territoires occupés, sauf les 150 héros qui ont refusé de servir dans les territoires occupés, nous interpellait sur certaines sociétés qui sont arrivées où elles en sont arrivées. Je pense qu'il y a une phrase clef dans tout le débat qui parle des juifs, ou des communautés juives, par rapport à Israël qui est "Il ne faut pas désespérer Tel-Aviv", c'est une paraphrase de la phrase de Sartre. "Il ne faut pas désespérer Bianco", c'est une position stalino-sioniste. C'est la position pour laquelle on a opté vis-à-vis des pays socialistes. C'était "Effectivement, on peut faire de l'autocritique à l'intérieur des cellules ; mais, face à l'impérialisme, nous, masse laborieuse, il faut être unis".
Bernard ABOUAF (R. Shalom):
La phrase était "Il faut se taire en dehors des cellules communistes". Simplement à préciser, quand même Eyal Sivan, c'est quand même dérangeant. Oui. Il y a eu la Seconde Guerre Mondiale, maintenant il y a peut-être des gens qui ferment leurs portes. Mais comment peut-on comparer un camp de concentration avec ce qui se passe dans les territoires ?.. C'est vous-même qui nous parliez d'amalgame, il y a cinq minutes...
Eyal SIVAN:
Je prends la phrase de Leibovitz. Pour moi, quand le ministre de la défense israélien déclare que 75.000. peut-être que je me trompe dans les chiffres, 75.000 personnes ont été arrêtées et se trouvent dans des camps dans le désert du Néguev, dans des conditions sous-humaines. Quand, pendant 25 ans, on joue avec l'"occupation". C'est très confortable de garder l'appellation "territoires occupés", pendant 24 ans... ça nous interpelle. Quant à l'obéissance, certains personnages éminents de la gauche israélienne, comme Amos Oz, Yoram Kaniuk, AB Yoshua ou Yossi Sarid ont instauré une ligne rouge à ne pas franchir. Cette limite n'a pas arrêté de bouger. Pendant une époque, cette ligne rouge était "Si Begin arrive au gouvernement, je ne fais plus partie de cette société", et Begin est arrivé. Ensuite on a dit "Au-delà de 40 km. ce n'est plus ma guerre... au Liban", et ils y sont allés. Yossi Sarid est allé au Liban, Ran Cohen, de l'extrême gauche israélienne y est allé et s'est fait filmer sur un char au Liban. La limite a avancé, jusqu'à ce que Gandi Rehavan Zeevi soit arrivé au gouvernement israélien. Ces personnes sont celles qui ont dit "Nous ne laisserons jamais passer les transferts. On se mettra sous les roues des camions, des bus, qui vont déporter les Palestiniens d'Israël", ces gens-là ont toujours avancé leur limite. Ils ont obéi en restant à l'intérieur de ce consensus israélien. Aujourd'hui, le transfert est dans le gouvernement et je ne fais confiance ni à eux, ni aux soldats pour refuser le transfert. Le problème qui se pose n'est pas "Quel est l'acte qui se fait actuellement ?", c'est "Quel est le degré d'obéissance de cette armée ?" et le degré d'obéissance de cette armée est illimité, parce que c'est comme ça qu'elle est éduquée. Je vais reprendre, dans une interview que j'ai fait du Professeur Leibovitz qui n'a pas été utilisée mais qui a été publiée dans "La Revue d'Etudes Palestiniennes", une phrase de Leibovitz qui est très très dure, sur laquelle il faut réfléchir "Si l'obéissance est un acte d'héroïsme. Adolf Eichmann était un héros".
Bernard ABOUAF (R Shalom):
Dany Chek…
Dany CHEK:
C'est un long discours et je ne vais pas rentrer dans les discussions politiques. Parce que ce n'est pas le sujet de notre rencontre ici. Je dirai simplement la chose suivante. Je trouve un peu facile de prétendre que si une diversité de personnalités, de Ran Cohen jusqu'à Amos Oz, avec toutes les différences qu'ils peuvent avoir sur le plan humain et intellectuel, qui représentent la gauche choisissent de vivre la réalité du pays, de respecter le choix démocratique de ses habitants, je trouve un peu simple de le mettre sous le casque de l'obéissance. Parce qu'il ne faut pas prendre la quasi-totalité de la population israélienne pour des robots, ce sont des gens qui ont des pensées indépendantes. Et je trouve incontestable que des gens, des écrivains et même des hommes politiques, ont une pensée indépendante et quand même, assez profonde, contrairement à Eyal Sivan qui a choisi, et c'est un choix tout à fait légitime, de se dissocier de la réalité israélienne. Et, peut-être, s'il avait choisi de rester, il se serait trouvé dans le camp d'Amos Oz, ou de quelqu'un d'autre qui, par conviction, participe jusqu'à un certain degré et respecte un gouvernement et une réalité qui sont choisis par ses habitants, qui n'est pas choisie par quelqu'un d'autre et n'aurait préféré ne pas partir. Ça aurait peut-être changé son trajet, c'est d'ailleurs ce qui fait encore plus de son film quelque chose qui ressemble un peu à..., je m'excuse auprès de la psychologue d'emprunter un de ses termes, pour faire une sorte de thérapie personnelle, retracer un chemin et peut-être même, trouver les bonnes raisons à son choix. Parce que je suppose que le choix n'a pas été facile pour quelqu'un qui a grandi dans un pays, qui y a laissé toute sa famille et qui a choisi de se dissocier. C'est sans doute un choix qui n'est pas facile. Voilà. Je préfère ne pas entrer dans les questions politiques, parce que mes positions sont tout à fait évidentes et on ne va pas perdre le temps des auditeurs pour les répéter.
Bernard ABOUAF (R. Shalom):
Bien, Dany Chek, je rappelle que vous étes le Premier Secrétaire de l'Ambassade d'Israël. Eyal Sivan. vous étes réalisateur du film qu'on a vu hier soir dans l'émission "Océaniques". "IZKOR, Les Esclaves de la Mémoire". Régine Waiche, hélas, on n'aura pas eu beaucoup de temps pour vous entendre, d'entendre vos analyses en tant que psychologue. Je vous remercie d'avoir été nos invités ce soir. Bonsoir.