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Au-delà de la mémoire ? by Jean-Paul Aymon (L'Arche)

01.03.1991

Comment un jeune, cinéaste israélien juge-t-il son pays, comment réagit-il à l'enseignement qui lui a été imposé, comment conçoit-il une éducation allant au-delà de la mémoire collective du peuple juif, mémoire qui a façonné le pays? Autant de questions que se pose -et pose - Eyal Sivan dont le film "Izkor" (Souvenez-vous passera sur FR 3, suivi d'un débat, le 25 mars.
"Tous les enfants chantent "Esclaves nous étions, aujourd'hui nous sommes libres". Mais sommes-nous libres ou esclaves de la mémoire", se demande-t-il. Humble, il n'apporte aucune réponse, seulement des éléments de réflexion.
Né en 1964 à Haïfa, Eyal Sivan a été marque par « les quatre célébrations fondamentales » (Pessah, le Jour de la Shoah, le Jour des soldats de Tsahal morts pour la patrie et le Yom Haatsmaouth) en particulier par l'émouvante cérémonie où, dans tout Israël, la vie s'arrête tandis que hurlent les sirènes à la mémoire des combattants. Eyal Sivan est retourné, avec sa caméra, dans l'école dont il fut l'élève. Rien, semble-t-il n'a changé. L'institutrice explique toujours aux plus petits la Bible, le sionisme, la Shoah. Le "Nous étions esclaves de Pharaon" revient comme un leitmotiv. Les enfants miment la scène avant même de la comprendre. Le spectateur étranger et ignorant peut appeler cela du matraquage. Nous savons pourtant, et le film, en fin de compte le prouve, qu'aucun autre système d'éducation n'est encore possible dans un pays toujours menacé et qui, face à ses ennemis, doit préserver sa fragile unité. Toutes les nations nées d'une immigration massive et rapide ont dû créer un esprit national, recourant à des méthodes simplificatrices mais efficaces. C'est ce qui fait la force des Etats-Unis. On peut même constater, à l'occasion de la guerre du Golfe, le rôle mobilisateur de cette conscience des valeurs américaines face au scepticisme blasé, pour ne pas dire la veulerie, de certaines démocraties européennes. "Le mois d'avril, poursuit Sivan, c'est avant tout "lzkor", souviens-toi, ce même texte que nous devrions tous lire. Aujourd'hui je m'interroge sur ce qui unit les Israéliens, ce qui les empêche d'avoir sur eux-mêmes un regard pluriel et critique, ce qui les pousse à faire bloc, comme un seul homme, face au monde entier." Certains assument totalement cette mémoire comme cet élève du lycée René Cassin de Jérusalem, qui va commencer, d'ici quelques mois son service militaire de trois ans. En revanche le vieux Yeshayahou Leibovitz, professeur de pensée juive, de philosophie et de médecine à l'Université de Jérusalem, récuse en bloc cette idéologie. Il va jusqu'à dire "Ce n'est pas aux Juifs de se souvenir de la Shoah, c'est aux autres". Mais, si nous-mêmes oublions, qui se souviendra ? Bien sûr, comme le remarque ce garçon de treize ans qui rêve d'un Etat fraternel et tolérant "Ce n'est pas ce que nous autres Juifs avons subi qui nous donne le droit de tuer des Arabes".
Actuellement Eyal Sivan est en Israël . Il veut cerner, caméra au poing, les difficiles rapports entre Juifs et Arabes à l'heure de la guerre du Golfe, et les nouvelles interrogations de son peuple.