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Israël ou l'oubli interdit by Diane Gilliard (Presse Suisse)

24.02.1991

Le mois d'avril est un joli mois, en Israël. C'est aussi le mois de la Pâque, de la commémoration des morts pour la patrie et du rappel de la Shoah. Avril, c'est le mois d'"lzkor", le mois du souvenir, en référence au texte biblique qui ordonne de ne pas oublier.
"Mais à quoi sert le souvenir ?" demande Eyal Sivan, le réalisateur d'lskor, les esclaves de la mémoire, diffusé par Bleu Nuit. Posée par un citoyen de l'Etat hébreu, la question est hardie. Elle contient une charge critique importante, encore plus sensible en pleine guerre du Golfe, que le cinéaste développe tout au long de son film.
Fil rouge et caution intellectuelle, le vieux professeur Yeshayahou Leibovitz commente les raisons de ces célébrations qui mobilisent le pays tout entier. Selon lui, les Israéliens ne sont pas esclaves de la mémoire, mais "ils utilisent la mémoire pour ne pas se poser la question de qui ils sont. Comme si les choses qu'on nous a fait subir disaient quoi que ce soit sur la nature des juifs…"
Pour illustrer ces propos iconoclastes, Eyal Sivan se rend dans des familles de Jérusalem, dans des écoles, chez les tout-petits et les futurs bacheliers. Il observe la préparation des fêtes, le discours qui y est tenu, "l'éducation à la soumission" (selon le mot du vieux professeur) qui y est diffusée et qui explique, selon lui, le nationalisme israélien. Les enfants de l'école enfantine apprennent que la Pâque, fête de la liberté, rappelle la sortie des juifs d'Egypte. Ils découvrent qu'ils ne doivent jamais oublier qu'ils sont juifs et que c'est précisément parce que leurs grands-parents l'avaient oublié qu'ils ont dû subir la Shoah. Pour la célébration de ce drame, le cinéaste montre des enfants découpant des étoiles jaunes, se promenant dans le musée devant des photos de déportation, préparant un spectacle où ils réciteront, en chœur parlé, la litanie des camps de la mort.
Tous les jeunes Israéliens ne sont d'ailleurs pas d'accord : la contestation adolescente prend la forme d'une attitude critique à l'égard de ces fêtes. Le cinéaste interroge à plusieurs reprises un jeune garçon de 13 ans qui affirme ne pas aimer Pâque "parce qu'on doit nettoyer" et qui estime qu'on devrait rendre les territoires occupés aux Palestiniens. Une jeune juive marocaine remarque qu'on ne lui parle jamais du Maroc à l'école. Elle idéalise donc un peu le pays de ses parents, mais se réjouit d'aller à l'armée pour y faire carrière et peut-être même y "mourir pour la patrie".
Visiblement de parti pris, ce film réussit à communiquer au spectateur le malaise de son auteur. Il met le doigt sur ce paradoxe les juifs ont été rejetés de partout précisément parce qu'ils étaient, de toute éternité, des "internationaux" ; aujourd'hui, ils ont un Etat et, en se référant à la même culture biblique, ils éduquent au nationalisme. Le professeur Leibovitz en tire la conclusion la plus sévère : "Il n'y a pas aujourd'hui de perspectives juives qui aient de la valeur, alors on se retourne vers le passé".