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Réfugiés palestiniens, un exil sans retour by Jean-Pierre Perrin (Libération)

07.06.1995

La paix israélo-palestinienne est-elle possible sans le retour des réfugiés palestiniens à leur terre natale ? C'est à cette question fondamentale que le film d'Eyal Sivan, cinéaste israélien, tente de répondre en la posant très simplement aux habitants de Aqabat Jaber, qui fut le plus grand camp de réfugiés palestiniens. Des 65.000 réfugiés qu'il complait alors, il n'en abrite plus aujourd'hui que 3.000 et sa situation, à trois kilomètres de Jéricho, lui vaut d'être contrôlé par l'Autorité palestinienne et non plus par Tsahal.
 
Mais qu'est ce qui a changé pour la population du camp ? A la fois, tout et rien. Tout, parce que, dira un réfugié, la peur du soldat juif n'est plus de mise depuis qu'il a été remplacé par le policier palestinien. Rien, parce que la vie des résidents reste une vie de camp, coincé entre désert et cimetières de voitures. "Toute notre vie, on aura été des vagabonds", résume une jeune femme. Alors même si l'accord de paix israélo-palestinien n'en parle pas, l'espérance de retrouver le village natal, la terre ancestrale, qu'ils ont perdus lors de la création de l'Etat d'Israël en 1948, est toujours violente. "Il ne peut y avoir de paix sans retour", disent beaucoup des réfugiés, tout en admettant que "ça prendra du temps". Ces terres dont ils ont été privés, ces villages dont ils ont été chassés, sont aujourd'hui magnifiés, mythifiés. Abou Moussa, 53 ans, originaire de Ramlé, affirme que ce lieu était "un vrai paradis". Qu'importe si ce qui restait de la Palestine arabe -la Samarie et la Judée- fut conquis par la Jordanie, l'occupation d'une armée arabe n'a jamais été ressenti comme celle de l'armée israélienne. "Quoiqu'on en dise un Arabe, même s'il te fais mal, tu sens qu'il ne sera pas trop dur ; s'il te bas sa main sera tendre ; s'il t'emprisonne il sera clément", dira un réfugiés, dont la mémoire semble oublier les terribles massacres de Palestiniens commis par l'armée jordanienne, lors de Septembre noir (1970).
 
Face à "aI-Awda", ce qui veut dire "le retour" sur les terres dont ils ont été chassés, les habitants de Aqabat Jaber oscillent entre trois attitude. Certains affirment qu'ils ne  renoncerons jamais à revenir chez eux, même s'il faut "des milliers d'années", même s'il faut faire la guerre pour retrouver leur droits. "La chose que ressent ton cœur, ta tête, tes sens, ta conscience, ton être, ce qui circule dans ton sang, cette chose, c'est tes origines, la maison de tes ancêtres. Cela tu ne peux pas l'oublier", dit un réfugié. D'autres composent disent qu'ils sont toujours prêts à tout pour le "retour" mais en même temps construisent de "vrais maisons" dans le périmètre du camp. D'autres, enfin sont prêts à renoncer, estimant que l'on peut mener "une vie stable" même éloigné de la terre-mère, "on ne peut reprendre la Palestine par la guerre et la paix. Cela pour dire que parler de terre occupée revient à souffler dans un ballon troué. On souffle pour rien. On ne gonflera jamais." Qui, au sein de ces "esclaves de la mémoire", l'emportera ? Celui qui espère arriver à vivre en paix avec les israéliens afin de pouvoir "aller un jour chez eux" ou celui qui leur dénie tout droit de vivre dans ce qui fut les terres palestiniennes. "Même s'ils sont nés ici, cette terre n'est pas la leur. Leurs racines c'est l'Europe, pas la Palestine", dit une jeune islamiste.
 
Bien sûr, le film de Sivan ne fournit pas de réponse. Mais avec une belle sobriété et sans le prêchi-prêcha habituel, il témoigne des fractures quasiment irréductible de la mémoire et de ce heurt tragique  entre le droit au retour palestinien et la "loi du retour" israélien. A méditer, à l'heure où l'on parle beaucoup de l'ex-Yougoslavie, autres pays où les déplacements forcés de populations se poursuivent.