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Aqabat Jaber, une paix sans retour by Emmanuel Leclercq (Les Cahiers du Cinéma)

01.06.1995

 Au commencement est l'image. Un lent travelling le long de murs en pisé, maculés d'inscriptions en arabe, rouge sang, noir colère. Un son étrange vient la recouvrir : l'écho amorti d'une rafale de mitraillette ? Le bruit au ralenti des pales d'un hélicoptère ? De l'eau plutôt, aspirée profondément -la petite musique d'un narguilé... Au bout de la pipe à eau, un homme assis, peau mate sur linge blanc. Toute une histoire du Proche-Orient contenue dans ce seul plan, entre mektoub et volcans jamais éteints de cette terre promise qui aura vu naître quelques religions, et la guerre peut-être aussi... Alors seulement viendront les mots, du fond d'un désert d'amertume, Abou Moussa fait partie des 3 000 Palestiniens à (sur)vivre encore depuis près de cinquante ans à Aqabat Jaber, aux portes de Jéricho. Au lendemain de la guerre israélo-arabe de 1948, ce camp de réfugiés fut aménagé à la hâte par les Nations unies pour les quelque 65 000 Palestiniens chassés de leurs villages, un camp censé être provisoire, dont la plupart ne sortiront qu'en 1967, lots de la guerre des Six jours, avant de devoir y revenir. Depuis, tout a changé, rien n'a tien changé : des accords de paix ont bien été signés en 1994 et une autorité palestinienne a certes remplacé l'occupation israélienne, mais les cartes de rationnement subsistent, et le statut de réfugié vaut toujours pour identité. 
C'est qu'aucun des occupants de ce non lieu, entre chantier et mines, n'arrive à prendre racine et à faire le deuil de ses terres natales, parfois distantes de quelques kilomètres à peine.
 
Assez pour que cet exil soit vécu comme une blessure impossible à cicatriser, une plaie que vient raviver chaque pierre qui vole dans ce berceau de l'Intifada. Sans le retour des réfugiés à leur terre d' origine, la paix semble possible un jour ?
 
Un film poignant, au rythme alangui d'un exode aux pieds nus, qui marque le retour de ce réalisateur franco-israélien sur les traces d'un premier film, Aqabat-Jaber, Une vie de passage, tourné en 1987, et qui s'inscrit dans un travail entrepris depuis 1982, quand Sivan, jeune photographe de mode de 18 ans en repérage de décors, découvre la présence d'habitants dans ce camp qu'il croyait abandonné...