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Aqabat-Jaber, Paix sans retour ? by Antoine Perraud (Télérama)
31.05.1995
Du côté du Jourdain, les majestueux travellings d'Eyal Sivan semblent prendre le relais de la Bible. En "Terre sainte", les religions, les mythes, les épopées, les catastrophes et les gémissements nous ramènent au cadastre : à l'origine de tout il y eut -et il y aura pour les siècles des siècles- telle ou telle parcelle. Les languides mouvements de caméra racontent cette fois l'immense et indéniable douleur qui sera dite une heure durant des habitants du camp de réfugiés d'Aqabat Jaber, aux portes de Jéricho. Trois mille Palestiniens, chassés de leur terre par les Israéliens en 1948 ou 1967, vivent aujourd'hui dans la torpeur de la normalisation, sous l'autorité des leurs, en vertu des accords de Washington en 1993. Cette situation pousse l'un de ces STF (sans terre fixe) "à effacer le mot réfugié de (son) vocabulaire". L'approche de la souffrance et de l'exil qui est celle du réalisateur offre donc la parole à des êtres cramponnés dans un camp de misère, le vent dans les cheveux, un mégot ou quelque ferraille pour toute richesse, qui risquent d'avoir aussi bientôt le droit de se taire, pour ne pas démoraliser Gaza et Jéricho. En attendant, ils passent de l'espoir tenace à l'attente blasée. Et parfois se lancent dans un déni de racines à l'encontre des Juifs qui sont parvenus à faire de ces Palestiniens errants, parqués dans des ghettos, leur pendant historique. De ce film honnête et rigoureux, charriant la poésie des profondeur du désespoir, il ressort que le Prophète s'est arrêté à Aqabat Jaber, ce lieu métaphorique de l'impasse palestinienne.