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Entretien avec un dissident cinéaste, Intrview by Laurent Gross and Alain Mihaly [Points critiques]

01.07.1991

Nous avons rencontré Eyal Sivan, réalisateur de "Izkor, les Esclaves de la Mémoire". Ce film a obtenu le prix du Documentaire d'Investigation à la Biennale du documentaire de Marseille de juin 1991.
Qui est Eyal Sivan ?
Je suis né à Haïfa en 1964. Mes parents ont émigré d'Uruguay en 1963 pour une raison étrange. Ma mère, issue du mouvement sioniste de gauche était en même temps très castriste. Mon père vient d'une famille complètement assimilée. C'est l'époque de l'intervention américaine au Chili et à Montevideo et ils décident de quitter l'Amérique latine pour un pays nouveau dans lequel mon père architecte et ma mère archéologue pourront "construire". Ils ont le choix entre trois pays : Cuba, l'Algérie et Israël. Ils choisissent Israël parce qu'ils ne veulent pas que leurs enfants soient Juifs. J'ai été élevé avec cette anecdote dont j'ai compris plus tard le sens. En Israël, mes parents ne prennent pas la nationalité israélienne. Ils pensent que la nationalité est quelque chose qu'on choisit et non qu'on reçoit. Pendant 20 ans, ils sont restés "résidents israéliens citoyens étrangers". Ils avaient tous les devoirs mais pas tous les droits des citoyens. J'ai fait l'école primaire normalement. Puis je suis resté un an au Lycée René Cassin qui est montré dans le film. J'en suis viré et je passe à l'Ecole expérimentale de Jérusalem.
Le mouvement "La paix maintenant" est né en réalité dans cette école et plusieurs de ses professeurs en sont les leaders. Le 17 novembre 1982, juste après le massacre de Sabra et Chatila, je dois m'engager dans l'armée israélienne. Je refuse le service militaire. Israël n'étant pas signataire de la Convention sur l'objection de conscience, la seule issue qui me reste, c'est d'être réformé. En 1985, je décide de vivre en France pour des raisons personnelles. Un an après mon arrivée, je commence à travailler sur mon premier long-métrage, "Aqabat Jaber -Vie de passage", un film sur 1948. Avec ce film, j'entre en contact avec l'histoire et la diaspora palestiniennes. En 1988, la "Liste progressiste pour la paix" me demande de réaliser ses spots publicitaires pour la campagne électorale. Je travaille à cette époque sur un projet qui est l'histoire filmée des rencontres israélo-palestiniennes. Après vient "Izkor". Parallèlement, j'écris dans la "Revue d'études palestiniennes".
Un profil 21
Tu as réussi à te faire réformer ?
Oui, j'ai reçu ce qu'on appelle le profil 21, ce qui signifie, pour l'armée israélienne, que je suis fou. Le seul examen psychosocial en Israël est celui de l'armée. Après l'âge de 18 ans, le numéro d'identification de l'armée est un peu comme ici la carte de sécurité sociale. Si on n'a pas ce numéro, tout le monde sait qu'on n'a pas fait le service militaire. Les répercussions sont normales, on ne peut pas passer son permis de conduire, on ne peut pas travailler dans des sociétés appartenant à l'État ou ayant un lien avec lui, on ne peut pas obtenir de prêts bancaires pour un logement.
L'introduction d'Alfred Grosser au film était-elle nécessaire ? Ne pouvait-on, sans cela, aborder ce sujet ?
Izkor est au départ une production franco-israélienne qui réunit un producteur -celui d'Amos Gitaï, autre cinéaste israélien- qui vit en France mais a eu un parcours israélien, et une société française qui trouve un investisseur israélien sans lien avec le cinéma. IMA productions et Rhéa Films sont entrés par la suite dans la production. La chaîne allemande ZDF est entrée la première dans la postproduction, massivement et en donnant carte blanche sur base du scénario. Nous étions en même temps en discussion avec la Sept, chaîne culturelle, qui refusait de produire le film. La Sept, sur ses 1500 heures de production, n'a produit que 52 minutes sur le conflit du Moyen-Orient. Aucune chaîne française n'a accepté de coproduire le film malgré d'excellentes réactions, il est "indiffusable". Nous sommes allés voir Pierre André-Boutang. Seligmann, un producteur, Juif progressiste qui n'a aucun lien avec la communauté juive, a conseillé à André-Boutang de montrer le film. Celui-ci a alors décidé d'entrer en coproduction à posteriori ce qui fut une surprise totale. Il a considéré que le film ne pouvait pas passer sans débat. Mais avec quels participants ? A ce stade, le consensus s'était fait sur Alfred Grosser que j'avais déjà rencontré pendant la préparation du film à l'occasion de la sortie de son livre "Le crime et la mémoire". Cela a fait boule-de-neige, on a reçu des coups de fil de gens qui voulaient absolument participer au débat. A la dernière minute, le débat a été annulé pour des raisons officiellement économiques. En résumé, tout cela est issu d'une réaction d'hystérie, l'hystérie habituelle quand on touche aux Juifs et à Israël. Il faut absolument "atténuer", "équilibrer". Pierre André-Boutang m'a demandé de trouver un présentateur et j'ai choisi Grosser sans savoir ce qu'il allait dire. Je ne suis pas très content de cette intervention, je la trouve un petit peu scolaire avec un pied sur le frein. Grosser a mené un double jeu. Il atténue le propos du film, mais je ne pense pas qu'iI y réussisse vraiment, et en même temps, il attache au film les spectateurs de la communauté juive. Selon des échos que j'ai eus, certains spectateurs juifs ont regardé le film deux, trois minutes puis ont éteint leur poste. Ce que Grosser a permis, c'est qu'ils regardent le film pendant ces trois minutes. Parce que, la majorité des Juifs français vous le diront, la télévision française ne montre que des émissions anti-israéliennes et on n'a donc pas besoin de les regarder. J'étais, en ce qui me concerne, favorable à un débat à condition que celui-ci se tienne à une heure de grande écoute et non à une heure et demie du matin. Il a d'ailleurs été question que le film soit diffusé à "La marche du siècle" avec un vrai débat.
Où en es-tu par rapport à ton identité israélienne ?
Je suis Israélien, je suis né en Israël et je fais partie de la société israélienne dans son sens le plus large. Un des grand secrets concernant la société israélienne, c'est que, s'il y a en Israël 3.800.000 Israéliens, 1.000.000. Israéliens, dont un grand nombre sont nés en Israël, vivent ailleurs. Il y a en réalité un équilibrage -jusqu'à l'immigration soviétique - entre ceux qui vont en Israël et ceux qui partent. On parle beaucoup moins de ceux-là. Je dirais que je suis un exilé de conscience. Aujourd'hui, tout en étant antisioniste, je fais partie de la société israélienne. Il y a de la place : un sixième de la population israélienne, les Arabes israéliens, est antisioniste.
Un regard impossible
As-tu pu faire ce film parce que tu es hors d'Israël ou pour couper définitivement les liens avec Israël ? Y a-t-il une place pour quelqu'un comme toi en Israël ?
Pour faire un tel film, il faut une mise en perspective. La société israélienne, dans sa structure, ne permet pas la mise en perspective nécessaire au film, elle ne permet pas le regard porté sur elle. Les intellectuels israéliens qui peuvent faire deux pas en arrière et porter un regard sur leur société se comptent sur les doigts d'une main. Cela commence avec Leibovitz et se termine peut-être avec Matti Peled. Il s'agit vraiment de trois, quatre personnes. Tous les autres ont un jeu ambigu. D'abord, ils disent : "j'appartiens, je fais partie, j'ai été général, j'ai combattu en 48, j'ai tué des Arabes donc j'ai le droit de parler". Très peu ont pris le recul nécessaire pour dire que dans cette société, ils ont le droit de regarder et que cela ne remet pas en cause leur identité. Le recul, pour moi, commence en étant hors de la société, c'est-à-dire en ne faisant pas partie de l'armée. Puis en venant en France, mais surtout en assistant à l'Intifada car le film s'inscrit après ce soulèvement qui, même pour moi, est un choc. J'ai fait ce film à l'étranger pour des raisons Cinématographiques, l'argent, les moyens, les gens. Les œuvres dissidentes ont toutes été faites à l'étranger. Tous les cinéastes israéliens habitant à l'étranger, sauf ceux qui ont suivi le producteur Menahem Golan de Los Angeles à l'Afrique du Sud, ont, sur le conflit, fait des films qui oscillent entre l'asionisme et l'antisionisme. La liste est longue. Pourquoi ? Parce qu'apparemment, on ne peut pas faire ces films à "intérieur d'Israël. On peut évidemment tout dire en Israël mais, pour reprendre une expression biblique, une "voix dans le désert", cela ne m'intéresse pas. On dit et on publie beaucoup de choses en Israël. Ce qui m'intéresse, c'est dire et rencontrer un écho. On écoute mieux en Israël ce qui est dit à l'étranger. Je joue ce jeu d'une manière systématique depuis quelques années. En réalité, la fracture entre moi et la façon dont on s'exprime en Israël ne porte pas sur le contenu, mais sur le fait qu'à l'étranger, tout en m'adressant aux Israéliens, je dis les choses à tout le monde. Je parle à tous, Points critiques, Libération ou Le Figaro de la même façon.
Tu ne laves pas le linge sale en famille ?
C'est là que s'inscrit en réalité toute la problématique. Laver le linge sale en famille, c'est typique de la gauche israélienne, c'est-à-dire de toutes les tendances qui prêchent le transfert des Palestiniens et de la terre. Car il y a deux grandes tendances en Israël, deux grands rêves : le rêve de transférer les Palestiniens et le rêve de les transférer avec la terre. Il n'y a pas la troisième tendance, le rêve de vivre ensemble.
On ressent, en voyant ton film, une sensation d'étouffement devant une société complètement fermée. On a l'impression que tout ce que tu pouvais faire, c'était réaliser un film et partir.
C'est l'histoire de la rupture. Mais il ne s'agit pas de cela. Je vais faire des comparaisons qui vont paraître prétentieuses. Prenons Ismail Kadare qui a vécu dans une société étouffante. Il y a écrit, il a fait de la résistance à l'intérieur. Et il a rencontré un grand succès à l'étranger, C'est un personnage très ambigu. Dès qu'il quitte l'Albanie, il écrit une justification de sa démarche, parce qu'il donne l'impression d'une rupture claire. Je n'ai jamais parlé à l'intérieur, je n'ai pas fait de film en Israël. Dès mon départ, j'ai fait des films sur Israël et seulement sur Israël. Je n'ai pas connu de rupture avec la société israélienne et avec les Israéliens, Je suis par contre en rupture totale avec le système. "Izkor, Les Esclaves de la Mémoire" est en rupture totale avec le système. Si Israël était un Etat ouvertement, clairement, honnêtement totalitaire, je serais en prison et on se demanderait s'il s'agit ou pas d'une rupture. Vaclav Havel était en prison sans être en rupture avec la société, La rupture réside dans le fait de reconnaître que, en Israël, la société, l'Etat et le système sont trois éléments distincts, En Israël, on veut confondre le tout et dès qu'on touche à un des trois éléments, on parle de rupture. Parce qu'on veut qu'Israël soit un Tout, une notion plus qu'autre chose. Je n'accepte pas l'idée qu'Israël soit une notion intouchable. Si, à la place d'une expression cinématographique, j'avais prêché la lutte armée, on aurait pu parler de rupture avec la société israélienne.
Telle que tu la montres, on a l'impression que la société est totalitaire, qu'iI n'y a pas d'issue à cette histoire officielle.
La question est de savoir s'il y a une issue pour la société israélienne. Il y a une issue puisqu'on peut encore faire un film comme "Izkor" en Israël. C'est la première issue, on peut exprimer quelque chose, même si c'est complètement minoritaire. Et, en faisant un tel film, on peut convaincre.
Le professeur Leibovitz (1), qui intervient à plusieurs reprises dans le film, nous a semblé peu explicite. Son ton est celui d'un imprécateur. Le peu de parole, redondante à certains moments, qui lui est laissée, ne déforce-t-elle pas son discours ? Nous n'avons pas senti que tu lui laissais la place pour s'expliquer.
C'est la réaction typique des gens qui acceptent le discours du film. Ils se disent qu'ils n'ont pas besoin de Leibovitz, ce qui est absolument vrai, imaginons le même film sans Leibovitz et prenons les deux mauvaises fois, la mauvaise foi judéo-communautaire et la mauvaise foi antisémite et révisionniste. Sans Leibovitz, le film peut être antisémite. De même, sans lui, "Izkor" est, pour le judéo-communautaire, un film magnifique. Il peut le voir comme un éloge de l'éducation civique israélienne. Pour les non-Juifs qui n'ont pas l'habitude d'entendre de tels propos sur les Juifs et sur Israël, c'est une nouveauté totale, surtout avec l'image de cet homme religieux. Leibovitz s'inscrit parfaitement dans l'imaginaire antisémite tandis que son discours est complètement à l'opposé. La fonction de Leibovitz est de réaxer le film. Il est en quelque sorte mon commentaire. Je l'utilise, il joue dans le film la fonction qu'il a dans la société israélienne, celle d'un intellectuel provocateur qui dit les choses très crûment. Il n'explique pas le cheminement de sa pensée mais en même temps chaque fois qu'il apparaît, il lance de grandes questions. Leibovitz est redondant, il dit la même chose depuis 1967. Et il n'est pas parfait. Sa fonction, en Israël, est très importante. Je vais d'ailleurs, d'ici deux mois, commencer un film sur lui.
Nous voulions justement te demander s'il ne méritait pas à lui seul un film.
La réponse est oui. Il mérite un film parce qu'il est peut-être un des derniers philosophes juifs à s'inscrire dans une tradition philosophique juive. Il s'inscrit dans un judaïsme religieux antinational alors qu'il se dit d'ailleurs sioniste. Il a été un des premiers à demander la séparation de l'Etat et de la Synagogue.
Etant donné la vision sioniste de l'histoire juive, Israël pouvait-il échapper à cette instrumentalisation du génocide et de sa mémoire ?
Il y a un "mariage" très ambigu entre sionisme et antisémitisme. La volonté de l'antisémite modéré, celui qui ne veut pas exterminer les Juifs, est que les Juifs s'en aillent. Le sioniste modéré dit à l'antisémite modéré : "ne t'inquiète pas, je pars tout seul". A ce stade-là, le "mariage" n'est pas méchant. Il le devient quand il s'agit d'un Etat qui ne voit pas son capital humain dans la reproduction des êtres mais dans le transfert de population. Cet Etat a besoin de l'antisémitisme pour avoir plus de citoyens, sans antisémitisme, il n'y a pas de citoyens israéliens. C'est la problématique des Israéliens. Mais la problématique des Juifs, c'est que les Juifs sionistes disent qu'ils n'ont aucun rôle à jouer dans leur cité puisqu'ils "se cassent", Il s'agit d'une vision défaitiste, antisociale et hypocrite. Tout ce qui, en fait, est reproché au Juif par l'antisémite.
Je pense que l'Etat d'Israël aurait pu se construire autrement. Il a en fait choisi une des deux mémoires juives, celle des Juifs d'Occident. C'est un point sur lequel j'insiste dans le film, Les Juifs d'Orient ont une autre mémoire à raconter, qui n'est pas celle du génocide. Une mémoire qui commence et se termine en Andalousie. La mémoire qu'il y a eu un moment pendant lequel Juifs, Musulmans et Chrétiens ont ensemble créé une société pluraliste, religieuse, laïque dans un mélange total des nations. L'Etat d'Israël a implanté une mémoire occidentale au milieu de l'Orient arabe.
Un État idéologique.
Même dans cette optique, il aurait aussi fallu tenir compte de la mémoire des Juifs occidentaux.
C'est la question du droit sur la mémoire. L'Etat d'Israël est avant tout un Etat idéologique, l'Etat d'une idéologie complexe qui naît en Europe de l'Est, qui est "marxiste", laïque et juive, qui laïcise le judaïsme.
En 1950, la Commission de l'Enseignement a décidé quelles fêtes juives seraient "fêtes nationales", On a choisi Pessakh (Pâques), le passage de l'esclavage à la liberté, il y a donc des fêtes qui n'ont pas de sens "national". On a choisi. C'est la même chose pour la mémoire du génocide, Et dans la mémoire du génocide, on a choisi non pas la mémoire en général mais la leçon nationaliste de la mémoire du génocide. L'Etat d'Israël n'a aucune mémoire du génocide. La preuve, c'est la façon dont il agit aujourd'hui. La preuve, c'est 1948 même, l'acte, complètement aveugle par rapport à la mémoire du génocide, de chasser les Palestiniens de chez eux. Mais l'Etat d'Israël constitué par les Nations et non par ies Juifs s'est procuré en même temps un titre, celui de gardien de la mémoire du génocide pour l'Occident, parce que cela l'arrange et lui donne un droit. On a donc de part et d'autre l'Occident et Israël et au milieu les communautés juives de la Diaspora qui ont permis à l'Etat d'Israël d'avoir ce droit sur la mémoire. La mémoire du génocide pour Israël répond uniquement à un besoin nationaliste. Cet état de fait découle de l'idée que l'Etat d'Israël est l'ultime défenseur des Juifs du monde. Selon ce consensus entre le monde et les Juifs, Israël, protecteur des Juifs du monde, est par conséquent le protecteur de leur mémoire.
Mais le génocide fait aussi partie de la mémoire des Juifs d'Orient. La communauté de Salonique par exemple a été exterminée dans sa quasi-totalité.
On n'a pas, en Israël, la mémoire du génocide mais seulement celle de certains éléments, de la même façon qu'on a des éléments de judaïsme et non "le" judaïsme. On a réfléchi aux éléments dont on avait besoin. On a appelé cela le "Jour de la Shoa et de l'héroïsme". De quel héroïsme parle-t-on ? De même par rapport à la mémoire de certaines communautés. On ne peut pas parler de la déportation des Juifs des Balkans. Il faudrait sinon parler de leur histoire, de leur culture. Au sujet de Salonique, on raconte uniquement l'histoire "héroïque" de 37 jeunes gens qui ont marché en chantant vers la chambre à gaz. C'est ce qu'on appelle "l'histoire des 37 Grecs".
La question des termes utilisés pour nommer le génocide nous semble importante.
Quatre termes sont utilisés dans le film : "Shoa", "Holocauste", "Catastrophe" et "Génocide". Le travail de traduction a été très précis. Je préfère "Shoa" parce que je pense qu'un peuple a le droit de nommer son Histoire dans sa langue. De la même façon, les Palestiniens appellent les événements de 1948 : "Nakba", qui a exactement la même signification que "Shoa", c'est-à-dire "Catastrophe". Je récuse totalement "Holocauste". Dans le film, des enfants utilisent ce terme parce qu'il se trouve dans des textes qu'ils lisent, c'est la traduction de "sacrifice dans le Temple".
Nous pensons nous que "Shoa" est un terme, créé en Israël, qui n'est pas lié à la tradition juive ou yiddish. Apparu, il y a une dizaine d'années, dans la presse juive de langue française, il est le signe d'une pénétration idéologique.
Qui utilise la terminologie ? L'extrême droite française utilise "Holocauste" et parle de "pathos holocaustique" de l'Etat d'Israël. Moi aussi, je parle du "pathos holocaustique" de l'Etat d'Israël, mais j'ai le droit d'utiliser ce terme. Le mot "Shoa" a pénétré en France avec le film de Lanzmann. Il a permis d'effacer "Holocauste" et c'est cela qui est important. "Holocauste" est plus qu'ambigu, il est dangereux. Quant à la pénétration idéologique, les Israéliens, à l'étranger, utilisent non pas "Shoa" mais "Holocauste". Yad Vashem, dans toutes ses publications en langue étrangère, emploie "Holocauste". En ce qui me concerne, l'hébreu étant ma langue maternelle, l'emploi de "Shoa" m'est plus facile.
Tu ne penses pas que l'utilisation d'un terme israélien est un symptôme de la pénétration du modèle idéologique israélien en Diaspora.
En effet et cela même si le discours israélien, la manière de commémorer, les leçons à tirer du génocide, tout cela a pénétré les communautés juives.
Instrumentalisation, antisémitisme, révisionnisme
L'instrumentalisation du génocide par Israël a-t-elle, selon toi, ouvert la voie au révisionnisme ?
Oui. Elle a également favorisé l'antisémitisme en raison de la confusion, voulue par l'Etat d'Israël et acceptée par les communautés juives, entre Juifs et Israéliens, entre judaïsme et sionisme. Quant au révisionnisme, voici un exemple : à Yad Vashem, il y a un dossier qui a une appellation odieuse : c'est le dossier "Savon". D'après les recherches du Yad Vashem, on n'a pas fabriqué de savon à partir des cadavres des Juifs exterminés. Yad Vashem a reçu plusieurs lettres de Juifs de la Diaspora qui disaient posséder des savons estampillés d'une étoile et demandaient qu'en faire. Yad Vashem, qui est la haute autorité de la commémoration, a décidé de ne pas publier ces lettres ainsi que les recherches effectuées. Les faurisonniens, qui se sont penchés sur ce sujet, disent "Les Juifs mentent, on n'a jamais fait de savon", Personne n'a répondu et cette question est restée dans un flou artistique. Cela concerne beaucoup de choses dont l'histoire des chambres à gaz. Le grand cheval de bataille des révisionnistes est que les chambres à gaz et les fours crématoires ont été construits par les Américains. Personne, parmi les Juifs et les Israéliens, n'a reconnu que les Américains ont reconstruit les fours que les Allemands avaient détruits. On a laissé ces questions ouvertes car, en réalité, l'état d'Israël "s'en fout" des Juifs de la Diaspora. La seule chose qui l'intéresse, c'est que ceux-ci émigrent en Israël. Cela fait partie du mariage entre antisémitisme et sionisme. Poussé a l'extrême, c'est, dans le film, un professeur qui dit que "l'Etat d'Israël sans la Shoa ne pouvait être construit" et qui, tout de suite, se reprend en disant "Je ne veux pas dire que grâce à la Shoa...". En Israël, les gens disent ouvertement que c'est grâce à la Shoa que l'Etat d'Israël existe. Tout cela explique le flou par rapport au génocide et le fait que certains débats importants n'ont pas lieu dont par exemple celui portant sur l'attitude des Juifs de France pendant la guerre. Ils sont allés s'inscrire comme Juifs et ont, c'est mon avis, en bons citoyens français, presque réagi de la même manière que les petits collaborateurs latents. En laissant ces questions sans réponses précises, on ouvre la porte aux antisémites et aux révisionnistes.
L'histoire même du génocide n'est elle pas singulièrement absente du discours israélien ? Les faits de l'histoire ne sont-ils pas transformés, utilisés, par exemple en faisant de la révolte du ghetto du Varsovie une épopée sioniste ?
Une séquence que nous avions filmée au Kibboutz "Yad Mordechaï" est malheureusement absente du film. La statue d'Aniéléwicz, chef de la révolte du ghetto de Varsovie, y jouxte un monument à la guerre d'indépendance de 1948 pendant laquelle le kibboutz a participé à la défense du sud du pays contre les Egyptiens. Les deux événements sont "mélangés". Tout le film s'inscrit dans la perspective d'une analogie historique. Le problème de cette mémoire, c'est qu'il n'y a pas seulement un mensonge par rapport aux faits historiques mais aussi une interdiction de toute analogie historique. La révolte du ghetto de Varsovie m'incite, moi Israélien, vu la politique israélienne dans les territoires occupés, à une analogie simple avec la révolte des camps de réfugiés de Gaza, Mais l'analogie historique est interdite en Israël. Pour les Israéliens, la révolte du ghetto de Varsovie est un grand fait de la résistance juive. Mais on ne dit pas, par exemple, que Begin a fui le ghetto bien avant la révolte. Il est parti après avoir vu que les insurgés étaient de gauche. Mensonge également quand on raconte que les habitants du kibboutz ont résisté, alors qu'ils ont fui. De plus, le kibboutz se trouvait en territoire égyptien et les Egyptiens ont donc marché sur leur propre territoire. En amalgamant complètement les deux événements, on ne sait plus où est le mensonge et on ne sait plus où est la vérité historique. L'histoire du sionisme, surtout à partir de 1947, est remplie de mensonges historiques. 1948 est l'exemple typique : "une terre sans peuple pour un peuple sans terre". C'est le premier mensonge, le mensonge clé et tout découle peut-être de celui-là. On n'y fait pas seulement un travail sur sa propre mémoire, on efface la mémoire de l'autre en mettant la sienne en avant. On a une mémoire plus forte que celle de l'autre.
L'histoire exacte du génocide n'intéresse pas Israël ?
Absolument pas. Ruth Firel, une professeur israélienne, membre de la "Haute autorité pour l'enseignement supérieur", a écrit deux livres extraordinaires : "Les agents de la leçon" et "Les agents de l'éducation sioniste". Le premier ouvrage traite de la terminologie à employer dans l'enseignement. Cette terminologie est purement antisémite : on parle des "petits Juifs de la Diaspora". J'ai été élevé avec cette caractérisation opposée à l'israélien fier, bronzé, les cheveux bouclés, qui, fusil à la main, cultive sa terre. Dans l'éducation que j'ai reçue, on dit que les Juifs ont été a l'abattoir comme des moutons, ce qui d'ailleurs est en contradiction avec "l'héroïsme" que l'on commémore officiellement. Il y a un grand mépris des Israéliens par rapport aux Juifs de la Diaspora. On n'est pas loin de penser qu'ils l'avaient mérité, qu'ils n'avaient qu'à venir avant.
En fait, le sionisme a eu la volonté de créer un homme nouveau avec une mémoire nouvelle.
Les cours montrés dans le film présentent l'histoire des Juifs comme une suite de catastrophes jusqu'à l'existence d'Israël.
Leibovitz répond à cela qu'iI n'y a aujourd'hui qu'un seul endroit où les Juifs sont menacés en tant que Juifs : Israël.
Le système éducatif israélien.
Le discours rapporté dans le film imprègne-t-iI tout le système éducatif israélien ?
Il y a cinq réseaux d'éducation en Israël. D'abord un réseau orthodoxe qui concerne à peu près 6 % de la population scolaire. Ce réseau, indépendant de l'état mais subventionné, reste dans la tradition de l'Europe de l'Est mais aussi, et c'est récent, dans la tradition des Juifs orientaux avec le réseau du parti "Shass". Il n'y a pas d'éducation nationale hébraïque dans ces écoles.
Deuxième réseau, celui des Kibboutzim, dans lequel l'état intervient peu. Ils ont mené les grandes révisions historiques. Ils ont, par exemple, leurs propres Haggadah de Pâques. C'est un mélange de judéo-marxisme et de militarisme colonial. Il y a de plus deux systèmes d'éducation nationale : le système "d'éducation nationale" majoritaire, montré dans le film et le système d'éducation "national religieux", similaire mais avec un élément religieux. Reste le système d'éducation pour les citoyens non-juifs de l'état d'Israël. On y apprend l'histoire de l'Etat d'Israël, la littérature hébraïque et la civilisation arabe.
Dans le système national laïque, à l'école maternelle, on étudie la Bible, une Bible avec un Dieu laïque. En réalité, c'est de l'histoire et de l'archéologie. Il y a un va-et-vient entre archéologie, histoire et religion. On utilise la Bible comme un livre d'histoire du peuple juif, une histoire qui commence à la sortie d'Egypte alors qu'en réalité, elle commence avec Abraham. Dans le film, j'ai pris uniquement les cours donnés pendant "Ie mois du souvenir". Il y également un cours appelé "Moledet" (patrie), comme le parti du transfert. C'est un mélange de géographie, d'histoire et d'éducation Civique. Ensuite viennent "Toledot Am Israël", (L'histoire du peuple d'Israël), un très gros cours qui commence à la destruction du deuxième temple par Rome ; et "Ezrakhout", études civiques, dans lequel sont enseignées l'histoire des régimes politiques, la "constitution israélienne", la déclaration d'indépendance, etc... On étudie de plus la Shoa dans un ouvrage intitulé "La Shoa et sa signification". Ce sont les trois cours d'histoire du bac final.
Que recouvre cette histoire du peuple juif ?
Il faut savoir qu'en Israël, les Juifs d'Occident ont une histoire et ceux d'Orient un héritage. L'histoire du peuple juif, de Rome à 1948, est comprise dans cinq livres de chacun 400 pages, avec deux petits ouvrages, "Les écarts sociaux et les problèmes socio-économiques en Israël", consacré en fait aux Juifs orientaux et "L'héritage des communautés d'Orient".
Cette histoire est-elle complète ? Parle-t-on par exemple du Bund ?
On enseigne tout mais dans l'endoctrinement sioniste. Mais par exemple, on n'apprend pas l'histoire de l'Inquisition. Pour la simple raison qu'on devrait sinon parler de l'Andalousie. Mais on étudie surtout la constitution des trois sionismes : religieux, spirituel, politique. On s'arrête au sionisme politique avec Herzl, le Congrès de Bâle, Dreyfus... On passe ensuite aux premières alyas. Ce n'est pas une histoire vraie puisqu'on n'y parle pas de la présence arabe. C'est une histoire assez complète, assez centrée sur l'antisémitisme, avec une négation de la diaspora considérée comme un passage entre destruction du Temple et sionisme.
Quand fut mise en place l'étude du génocide ?
En 1950, après les accords avec l'Allemagne concernant les réparations de guerre. Les cours ne parlent d'ailleurs pas de ces réparations, le sujet est très ambigu. On enseigne effectivement la Shoa depuis environ dix ans. C'est au bac depuis 6 ou 7 ans. Précédemment, le discours sur le génocide était beaucoup plus centré sur les témoignages. On parlait beaucoup des moutons qui partaient à l'abattoir. Il s'agissait plus d'un jugement sur les Juifs.
Le procès Eichmann n'est-il pas une charnière ?
C'est la deuxième étape, après les réparations. Pour la première fois, avec le procès Eichmann, on parle ouvertement de la Shoa, Elle sort de l'histoire familiale et devient quelque chose de national. Troisième étape, 1967. L'Etat utilise la Shoa, clairement, en lui comparant les menaces pesant sur Israël. La référence a depuis été constante. C'est au nom de la Shoa, par exemple, que Shimon Peres a justifié la construction d'une centrale nucléaire. Begin officialisera cette utilisation en revenant continuellement à la Shoa. La problématique se posera en 1982, pendant la guerre du Liban. Les élèves se mettent à poser des questions et les professeurs demandent d'intégrer rapidement la Shoa à l'enseignement.
La pureté de l'armée
Y-a-t-il moyen d'échapper à ce système ?
J'ai oublié le système d'éducation le plus important : l'armée. Deux, trois mois après le bac, on rentre à l'armée. Sa fonction principale est l'éducation. La connaissance du pays se fait à l'armée. Le voyage s'appelle "Sur les pas des combattants", On apprend l'histoire du pays à travers les combats, c'est "l'héritage de la bataille". On raconte des histoires de guerres, c'est "Ie dialogue des combattants". Il y a un cours sur "la pureté de l'armée". L'armée israélienne est une armée pure.
Ces cours sont donnés à l'armée ?
Oui, dans des cercles d'instruction civique, lors de voyages et de cérémonies. Il y a beaucoup de cérémonies dans l'armée israélienne. Dans le film, j'en montre une, la première, celle du serment. J'ai pris la plus douce. J'aurais pu prendre celle qui a lieu à Massada. Massada qui n'est pas connu du tout dans la conscience et l'histoire juives, il n'y a qu'une trace, écrite en grec, celle de Josèphe Flavius, Juif converti, antijuif total. C'est l'état d'Israël qui a décidé de reprendre cet épisode.
C'est l'image paradoxale du suicide collectif…
Avec la grande phrase : "il vaut mieux mourir en homme libre que vivre esclave". Je me souviens d'avoir posé cette question à l'école et elle m'a valu d'être renvoyé : "si se suicider est un acte héroïque, comment se fait-il que nous sommes là maintenant ?" C'est à l'armée que tous, sauf les orthodoxes et les Arabes israéliens, achèvent leur éducation. On y échappe en ne rentrant pas à l'armée. La majorité des Israéliens qui ont quitté Israël, à peu près 1 million de personnes, l'on fait pour échapper aux forces qui empêchent une réflexion personnelle.
Oshik, dans le film, y a-t-il échappé ?
Un journaliste israélien m'a dit qu'Oshik était l'exemple qui démolissait ma thèse. Oshik n'a que 13 ans. On ne sait pas encore. C'est un petit Leibovitz, il fait des analogies historiques faciles : "nous, on a combattu, eux ils combattent ; avant on voulait la liberté, eux ils veulent la liberté". Avant l'état d'Israël, dit-il, on vivait comme des frères avec les Arabes : c'est un antisioniste primaire. D'où tient-il cela ? De sa famille, qui est pourtant Likoud. Mais ce mélange chez les Juifs orientaux est connu. Sa sœur a 14 ans et elle dit déjà que c'est bon de mourir pour la patrie.
Je ne sais pas si Oshik est l'exemple de quelqu'un qui a échappé. Il n'y a pas de déserteurs dans l'armée israélienne, donc les gens n'y échappent pas.
Des Israéliens refusent de servir dans les territoires occupés tel Michel Warshawski. D'après lui, la société israélienne qui était, il y a dix ans, totalitaire s'est maintenant libéralisée. Il ne partage pas le regard pessimiste de Leibovitz sur la société Israélienne.
Je pense que la société israélienne vit beaucoup mieux sa schizophrénie qu'avant.
Elle est beaucoup plus schizophrène et les autorités sont beaucoup plus conscientes de la nécessité de nourrir cette schizophrénie. Israël a de plus en plus de mal à prouver qu'il est un pays démocratique et il a donc besoin de donner plus de démocratie. Mais ce n'est pas là que les choses se jouent. Il est vrai qu'Ii y a plus de gens comme Warshawski qui peuvent aujourd'hui enseigner dans une école israélienne, mais aujourd'hui dans une école israélienne, un professeur peut aussi dire qu'il vote Moledet et cela n'existait pas il y a dix ans.
La télévision israélienne est devenue clairement une télévision propagandiste d'État. Elle est plus proche aujourd'hui de la télévision jordanienne ou égyptienne que de la télévision française. Mais je ne partage pas non plus le pessimisme de Leibovitz. Les groupes comme le Matzpen, qui existaient il y a une vingtaine d'années, ont disparu. Mais des gens refusent maintenant de servir dans les territoires occupés. Ce sont les vrais héros d'Israël. Mais ce ne sont pas des jeunes appelés qui viennent de sortir du système d'éducation. Ce sont des réservistes. Ils ont déjà une vision, ils ont combattu en 1982 et ils ont rompu à ce moment-là. C'est en 1982 que "Yesh Gvoul" (il y a une frontière) est né. Mais la grande gauche israélienne, la Paix Maintenant, Ratz et Mapam s'opposent au refus de servir dans les territoires occupés. Lorsqu'on regarde les élections dans les écoles israéliennes, on constate que la jeunesse vote à droite. Quand j'étais au lycée René Cassin, lors des votes, il y avait très peu de voix pour Kahana. Aujourd'hui, la jeunesse du Moledet est légitime et florissante dans les écoles. La barre des limites est poussée chaque fois plus haut. Le parti du transfert n'est plus seulement au Parlement, il est maintenant au gouvernement.
Le mensonge de la gauche israélienne
Quel est l'avenir de la société israélienne ? Même débarrassé des territoires occupés, Israël peut-il faire l'impasse sur la question des Arabes israéliens et donc de la nature de l'Etat ?
Non, Il y a un grand mensonge dans la gauche israélienne. Et là, je ne suis pas d'accord avec Leibovitz. La gauche parle de deux Israël, celui d'avant 1967, et celui d'après 1967. Avant1967, tout était beau, gentil. 1967, c'est la catastrophe, Israël occupe les territoires et, au lieu de s'en débarrasser immédiatement, les garde. Mais avant, il y a 1948, c'est-à-dire un acte colonial simple, bête et méchant. Peu de gens disent cela, qu'il y a eu une expulsion. On serait bien plus loin si on n'avait pas caché la catastrophe de 1948. Mais les Israéliens ont dit qu'il n'y avaient pas de Palestiniens et eux pendant 20 ans ont dû prouver qu'ils existaient. Nous étions plus forts et nous avions la possibilité de dire que c'était un désert.
1948, c'est aussi l'histoire même de la négociation. Négocier avec l'OLP, c'est négocier avec les gens de 1948. Négocier avec Fayçal Husseini, c'est négocier avec les gens de 1967. La droite israélienne, celle qui n'est pas à droite du Likoud, rejoint la gauche, dans le sens où elle accepte 1967 comme un problème. Ce sont tous des patriotes. Mais le vrai problème c'est 1948, car il existe avant et après la prise des territoires. Le grand problème des négociations sera le retour des réfugiés palestiniens, il y aura un débat autour du code de la nationalité israélienne et de la Loi du retour. Loi du retour d'accord mais pour qui ? Pour les Juifs ? Et ceux qui sont nés à Haïfa et qui veulent revenir à Haïfa ? On va leur dire de rentrer à Hébron ? On va avancer l'argument de droite de l'échange de populations entre Palestiniens et Juifs orientaux ? Rendre les territoires, et la création d'un Etat palestinien ne vont pas résoudre le problème même de l'Etat d'Israël. Peut-être cela va-t-il résoudre le conflit israélo-palestinien et israélo-arabe, mais pas le problème même de l'Etat d'Israël, c'est-à-dire, non pas l'autodétermination des Palestiniens, ce qui est évident, mais l'autodétermination des Israéliens au Proche-Orient. On voulait un Etat juif au Moyen-Orient, qui appartienne aux Juifs du Monde. On parle de l'autodétermination des Juifs, mais les Israéliens, eux, ne se sont jamais autodéterminés. Et les Israéliens, ce ne sont pas seulement des Juifs, ce sont aussi les Arabes israéliens. Si on pousse jusqu'au bout la logique de la gauche modérée, on a un État juif, européen, sympathique. Et ce ne sont pas alors les frontières de 1967 mais celles de 1947, C'est la partition. Mais même dans cette éventualité, 16 % de la population israélienne sera arabe et formera donc une minorité nationale. Il faudra donc modifier la déclaration d'indépendance, car celle-ci stipule l'égalité des droits, sa