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Psychanalyse collective by Dominique Vidal (Le Monde Diplomatique)

01.07.2004

Le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale de la jeune Organisation des Nations unies décidait de partager la Palestine en un Etat juif, un Etat arabe et une zone internationale pour Jérusalem et les Lieux saints. Adoptée à la majorité requise des deux tiers, cette résolution portait le numéro 181.
D’où le titre du film d’Eyal Sivan et Michel Khleifi, qui, après une première diffusion sur Arte, vient de sortir en salles – on le trouve également en DVD (1). Tourné au printemps 2002, ce road movie raconte en effet le voyage des réalisateurs de l’extrême sud à l’extrême nord de cette frontière virtuelle entre l’Etat juif et un Etat palestinien... qui n’a jamais vu le jour.
Rythmé par les passages aux barrages de l’armée israélienne et les survols des avions de chasse, ce parcours de quatre heures et demie sera l’occasion d’une quarantaine de rencontres dues au seul hasard, et pourtant passionnantes. Au point que Michel Khleifi a pu définir Route 181 comme « une psychanalyse collective ». A juste titre.
Chez les Palestiniens, interrogés par Michel Khleifi, domine la souffrance. Celle de la dépossession de 1948, blessure toujours à vif, surtout lorsque la maison et les terres volées restent à portée de regard – comme pour cette vieille femme désespérée de Sajarah (2). Celle des humiliations contemporaines, que le film égrène. Ah ! ces ouvriers palestiniens construisant, sous les ordres d’un Israélien « de gauche », le mur qui les enfermera...
Chez la plupart des juifs israéliens, questionnés par Eyal Sivan, ce qui frappe, au-delà des dénégations stéréotypées, c’est la conscience qu’ils ont de l’expulsion, souvent manu militari, des Palestiniens en 1948. On n’oubliera pas de sitôt le cynisme des vieux militants sionistes du Musée de l’eau du kibboutz Nir Am, de la maison Herzl ou encore d’Aharon Greensberg, l’un de ceux qui « nettoyèrent » la Galilée – en tuant, avoue-t-il, « beaucoup ».
Mais chacun ne tire pas les mêmes leçons du passé. Certains rêvent de « coexistence » avec les Arabes, voire se battent pour qu’elle advienne enfin, tels ces militants de l’association Taayush, que l’on voit agressés par les soldats alors qu’ils apportent du lait en poudre aux Palestiniens assiégés. D’autres, nombreux, prônent le « transfert ». On frissonne en entendant ce patron lâcher : « Un bon Arabe est un Arabe mort. » A peine plus diplomate, le guide du musée du Fonds national juif glisse : « Si on avait fait comme les Américains avec les Indiens, on serait tranquilles. » Et les murs plébiscitent une nouvelle expulsion vers la Jordanie.
Cette dérive ultranationaliste, hélas bien réelle, contraste avec l’immense tristesse des vieux juifs arabes qu’Eyal Sivan et Michel Khleifi rencontrent au terme de leur chemin. Cette femme si émouvante de Kfar Shammaï, ces couples si touchants de Shefer ne le cachent pas : non seulement ils regrettent le Maroc ou la Tunisie, mais ils se mordent les doigts de les avoir quittés. « Il n’y a pas de joie de vivre en Israël. » Et d’évoquer les amis, les proches, les enfants tombés, qui au Liban, qui dans les territoires occupés, qui dans les attentats-kamikazes. « Moi, le plus jeune de mes enfants est tombé à 20 ans. Il faut faire la paix. Tout le reste ne sert à rien. Et nous, nous savons que juifs et Arabes peuvent vivre ensemble. En attendant, on ne peut pas jouir de la vie. » Un silence, et puis : « En fait, ce n’est pas une vie. »

Dominique Vidal.

(1) 4 DVD, 49 euros : à commander sur le site de Momento !
(2) Pour beaucoup de spectateurs, le terrible massacre commis lors de l’expulsion de Lod, en juillet 1948, par Itzhak Rabin et Igal Allon sera une triste découverte. Dommage que son récit parodie la scène de Shoah dans laquelle un coiffeur raconte comment il devait couper les cheveux des femmes à l’intérieur des chambres à gaz. Pour ne rien dire du plan qui suit : des voies de chemin de fer...