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Nouveau barrage sur la Route 181 by Ange-Dominique Bouzet (Libération)

06.03.2004

La principale projection du film sur la ligne de partage israélo-palestinienne est annulée à Beaubourg.

Œuvre conjointe d’un Palestinien, Michel KhIeifi (Cantique des pierres), et d’un Israélien, Eyal Sivan (Un spécialiste), le fiIm Route 181, fragments d’un voyage en Palestine-Israël, diffusé sur Arte le 24 novembre a été un grand moment de télévision. Il devait être aussi l’un des temps forts de la programmation du festival Cinéma du réel, le traditionnel rendez-vous parisien du genre, qui a levé vendredi le rideau de sa 26e édition au Centre Pompidou : une double programmation était même prévue, les 11 et I4mars, en clôture.

“Malaise”

Mais le Centre Pompidou, la BPI (organisatrice de la manifestation) et le ministère de la Culture ont décidé, “d’un commun accord”, l’annulation de la principale projection du fiIm, le dimanche, dans la grande salle. “Depuis l’annonce de sa programmation, précise le texte officieI, de nombreux courriers, émanant de signataires très divers, expriment le malaise ressenti face à une nouvelle projection dans l’enceinte d’une institution publique de l’Etat” Moyennant quoi, iI a été décidé de ne s’en tenir qu’à une seule projection, compte tenu du “malaise et des risques de trouble de l’ordre public”. Michel KhIeifi et Eyal Sivan ont aussitôt réagi face à ce qu’iIs considèrent comme une “décision scandaleuse” qui se soumet à des “exigences sectaires”. “Nous sommes tout aussi concernés que nos détracteurs anonymes par les violences antijuives et les actes racistes en France. Personne, face à ce phénomène, n’a le monopole de l’inquiétude. Pas plus que celui de l’attachement à la justice et à la paix. Comme le montre notre travail cinématographique depuis plus de vingt ans. écrivent-ils. [...] Cette décision honteuse est très grave. Elle signe l’incapacité d’une institution culturelle d’Etat à assurer le bon déroulement de la projection d’un film et du pro9ramme d’un festival.”

Formidable plongée

Sorte de road-movie, Route 181 retrace un voyage le long de la ligne de partage (vite balayée par la guerre isaélo-arabe) tracée entre Palestine et Israël en 1947, par la décision 181 de l’ONU. Fondé uniquement sur les interviews de ceux de tous bords que les cinéastes rencontrent sur leur chemin (particuliers, commerçants, bergers...), le film est une formidable plongée dans le quotidien de la région (Libération du 24 novembre 2003). KhIeifi et Sivan, ainsi qu’Arte, avaient eu à s’aIarmer, dès décembre de la campagne d’intimidation déclenchée à leur encontre par “les milieux ultra-sionistes, les sites lntemet, les radios et la presse pro-Sharon”. Eyal Sivan (objet de menaces de mort anonymes) a récemment porté plainte à la suite de propos incendiaires prononcés contre lui par Alain Finkielkraut (Libération du 1er mars).

On ne peut que s’étonner, dans ces conditions, et compte-tenu de la qualité de l’œuvre, de la teneur du communiqué ministériel. Soit on considère que le film est “antisémite” et “judéophobe” et son sort devrait relever de la justice, que le ministère tout autant que les “pIaignants” (qui sont-iIs ?) sont à même de saisir pour en obtenir l’interdiction absolue. Soit iI ne l’est pas, et la connotation infamante du communiqué est tout aussi inadmissible que la censure qu’il prétend justifier.

A.-D. BOUZET